La France a-t-elle essayé le multiculturalisme ?

Le 01-04-2011
Par xadmin

Le multiculturalisme, ceux qui en parlent et ceux qui le font

Au moment où certains s’embourbent dans un débat-procès sur l’islam, Presse & Cité n’a pas peur de donner la parole à ceux qui font la société française, dans ses quartiers populaires, et a décidé de questionner la France sur son identité, dans toute sa diversité. Car le multiculturalisme, c'est ceux qui le font le plus qui en parlent le mieux.

A l'usage de ceux qui confondent Marianne et Marine
Le Président de la République n'écoute pas de rap, tout au plus un peu de chanson française, et c'est bien dommage. Car le 3 mars, lorsqu'il demandait face à la cathédrale du Puy-en-Velay, d'assumer une nouvelle fois sans complexe l'héritage chrétien de la France, il se serait remémoré cette phase de Kéry James, ex-leader du groupe de rap Idéal J : « On parlera laïcité pendant les vacances de Pâques ! ». Les vacances de Pâques approchent, alors parlons-en. Car au même moment, l'UMP lançait un nouveau débat sur l'identité nationale, évoquant d'abord le « multiculturalisme », puis ensuite « la religion », et enfin « la laïcité », avec l'islam en ligne de mire...
Les deux saillies du Président et de l’UMP délimitent clairement le camp du bien et celui du côté obscur de la Force.
Encore une fois : dommage. On peut en effet juger légitime qu'un parti politique décide de discuter de religion, en particulier avant des élections. L'acteur et le moment existent justement pour porter des débats. Par contre, on regrettera que ce débat-là ait été lancé suite aux propos de Marine Le Pen sur les prières de rue. Faut-il dès lors parler de « débat-procès » sur l'islam, comme le fait Respect mag, relayé par Le Nouvel Obs depuis le 23 mars, et à la suite du site musulman oumma.com ? De toute évidence, oui, malgré les dénégations entendues de-ci, de-là. Six dignitaires des grandes confessions présentes en France se sont d'ailleurs insurgés contre ce débat, le 30 mars dans le journal La Croix, estimant le moment inopportun. Et encore une fois comment ne pas regretter la frilosité qui entoure l'ensemble des débattants : après une brève polémique, certains signataires de l'appel de Respect mag comme Martine Aubry et Laurent Fabius, décident de retirer leur nom en raison de la présence de Tariq Ramadan à leurs côtés (parmi des centaines d'autres signataires). La frilosité, voire la paranoïa règnent bien encore, y compris à gauche.

Donner la parole à ceux qui font la France de demain
Et pourtant... il existe bien une solution à toutes ces polémiques : donner la parole, dans l’espace public, à ceux qui vivent et portent cette diversité cultuelle et culturelle. Le constat est patent : que n’a-t-on écouté depuis trente ans ceux qui portent une identité multiple ? Ils auraient pu être les meilleurs acteurs de ces débats sur la religion, la laïcité, la diversité. Mais depuis la Marche pour l’Egalité (dite des beurs) en 1983, on refuse de les écouter. Alors que depuis le début des années 2000, ils tentent de rendre visible la diversité de leurs origines, de leurs expériences et de leurs questionnements par rapport à la République, une République dont ils sont l’un des principaux moteurs, personne ne les regarde. Ils sont plus de trois millions en ZUS. Plus de cinq millions de musulmans. Plus de dix millions de français de couleur. Plus de quinze millions d’employés, ouvriers, petits artisans. Et personne ne les « calcule », comme on dit dans les banlieues. Ils sont tout, et pourtant, dans l’ordre public, ils ne sont rien ; aspirant seulement à devenir quelque chose, aurait-on dit en d’autres temps.

La culture française est-elle morte ?
Déjà, en décembre 2007, le Times publiait un article ravageur : la culture française est morte, était-il péremptoirement lâché. Du moins était mort ce qui faisait sa nouveauté, son dynamisme. L'article se payait même le luxe d'un ultime pied de nez : non seulement la culture française est morte, mais tout ce qui reste de nouveauté chez elle réside... dans les cultures urbaines ! Autant dire des cultures marquées justement par leur hétérogénéité, entre racines françaises, apports anglo-saxons et influences africaines. Certes, les élites culturelles savent célébrer les cultures urbaines lorsqu’elles paient leur tribut à la poésie nationale, que cela soit via MC Solaar ou Abd Al-Malik. Ce dernier, ex-rappeur strasbourgeois qui se réclame du soufisme, rend régulièrement hommage à la chanson française la plus traditionnelle ou aux intellectuels les plus abscons (Piaf, Dérida). Un hommage involontaire à la loi Toubon, qui en 1994, avait contraint les diffuseurs et médias à proposer au moins 40% de contenus en langue française dans leurs programmes... mettant en orbite le rap français par les grandes radios musicales et commerciales pour jeunes que sont devenues des stations comme Skyrock. Hommage d'autant plus ironique que cette loi s'élevait contre l'impérialisme culturel anglo-saxon, véhiculé en premier lieu par le monde du commerce et de la communication. Une loi qui a finalement profité à ce que la France fait de plus original, et de plus multiculturel, de plus francophone et de plus multilingue : les cultures urbaines !

Syndrome européen
On peut comprendre cet autisme français lorsque l’on se penche sur les récentes déclarations d'Angela Merkel en octobre, ou celles de David Cameron (en février) sur l’échec du multiculturalisme. Sous la pression d’un opuscule raciste commis par une personnalité du Parti Social Démocrate allemand vendu à près de deux millions d’exemplaires au-delà du Rhin, la Chancelière lançait ainsi : « Le multikulti est mort : "Nous vivons maintenant côte à côte et nous nous en réjouissons" – cette approche a échoué, totalement échoué ». Le second jugeait lui que « le multiculturalisme a conduit à ce que des communautés vivent isolées les unes des autres. Ces sociétés parallèles ne se développent pas selon nos valeurs. Nous ne leur avons pas donné une vision de ce qu'est notre société ». Sans même parler de la pression d'autres leaders plus droitiers, en Italie, au Danemark ou en Suisse, la déclaration de Nicolas Sarkozy assurant le 1 février que « le multiculturalisme est un échec », se place donc dans une sorte de continuum européen.

Mais au fait, la France est-elle une société multiculturelle ?
La question peut légitimement se poser. Les français exclus du grand récit national que sont les minorités et les habitants des banlieues populaires se la posent depuis des décennies. Tout simplement parce qu'alors qu'ils ont essayé de se fondre dans le paysage national, les discriminations persistent, la ghettoïsation progresse. Fatalement, les identités plurielles qui constituent dorénavant chaque individu cherchent à s'émanciper de tous les discours et les actes homogénéisateurs du « creuset français ». C’est donc en interrogeant le quotidien des quartiers populaires que l’on peut apporter quelques éléments de réponse. Le sport y est-il frappé par la malédiction communautaire ?! Comment s’habille-t-on sur les marchés de Montreuil ? Que mange-t-on tous les jours à La Courneuve ? Y a-t-il du halal dans le potage ?! Qui fait la presse dite de « la diversité », et qui en est client ? Les lois françaises sont-elles si homogènes ? N’y a-t-il pas un « creuset français » ? La créolité est-elle incontournable ? Qui sont ces femmes qui font vivre les quartiers à Rouen ? Ces radios-gazelles qui font parler les communautés marseillaises ? Mon enfant doit-il s’appeler Nordine ou Jean-François ? Est-il facile de se revendiquer publiquement musulman laïc et citoyen ? Parle-t-on le Français 100% Académie Française à Villiers-le-Bel ?

Le multiculturalisme est-il mort ?
Est-il seulement né, dans l’hexagone ?! Le multiculturalisme… n’est-ce pas finalement ceux qui le font le plus qui en parlent le mieux ? Les points de vue et réflexions du gastronome Périco Légasse, de Daniel Cohen-Bendit, de l’historien Gérard Noiriel, de l’écrivain Patrick Chamoiseau, et surtout de dizaine de citoyens anonymes qui font la France invisible : la boulangère du marché, le journaliste de quartier, le jeune chômeur de Villiers, l’épicier de Saint-Denis, le prof d’histoire, la mère de famille maghrébine, le footballeur amateur... La « France moisie » ne doit pas avoir le monopole des débats préélectoraux.

Erwan Ruty, Ressources Urbaines / Rédacteur en chef de presseetcite.info

 

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