Les commerces communautaires, réseaux de migrants solidaires

Le 05-04-2011
Par xadmin

Aux Chinois les magasins de vêtements, aux Pakistanais ceux des produits afros... Certains types de commerces sont surtout tenus par des communautés déterminées. Pourquoi ?
 

Un après-midi comme un autre dans une boutique de produits « afros » à Saint-Denis. « Bonjour, vous avez des filets à perruque ? » demande une grosse dame d'origine africaine à un vendeur du Pakistan. A Saint-Denis, comme dans beaucoup d'autres quartiers à forte population immigrée, la grande majorité des commerces de produits afros sont tenus par des hommes d'origine pakistanaise. Au comptoir, dans l’un d’entre eux, Saleem assure pourtant ne pas savoir pourquoi ce commerce est organisé de la sorte...
Pour lui, si les Africains ne tiennent pas eux-mêmes ces boutiques, c'est qu' « ils n'ont pas envie de travailler. » Les clients apprécieront.
Emmanuel Ma Mung, géographe à Migrinter, laboratoire de recherches sur les migrations internationales à Strasbourg, fait remarquer qu' « à Paris, dans le quartier de Château Rouge notamment, beaucoup de ces magasins sont tenus par des personnes d'origine africaine. »
Il n'empêche. « C'est sûr qu'il y a des groupes qui sont plus spécialisés dans le commerce », et « les Chinois ou les Indo-Pakistanais qui ont une tradition commerçante forte sont aussi dans un système de spécialisation. Il y a beaucoup de prêts en internes dans ces communautés. »
 

Niches économiques
Stéphane de Tapia, géographe spécialiste des faits migratoires au CNRS, a lui son explication. Il évoque des phénomènes purement économiques. « Ce sont des niches. Les nouveaux arrivés prennent un créneau qu'une autre communauté libère. Dans le passé, les Juifs étaient beaucoup dans la confection de vêtements, puis les Arméniens ont pris leur relève dans les années 20. Aujourd'hui, ce sont les Chinois qui tiennent ces commerces. »
Saleem raconte son parcours. Il a 50 ans et voilà plus de vingt ans qu'il est dans ce business. « J'ai commencé dans un magasin à Paris en 1990 parce que j'avais un ami qui travaillait déjà dans le cosmétique. » Une histoire tout à fait classique.
 

Comme les Auvergnats ou les Bretons
Le commerce en communauté est en réalité le fait de réseaux solidaires. Un phénomène qui a toujours existé avec les filières migratoires, explique Stéphane de Tapia. « Au XIXe siècle, les Auvergnats ou les Bretons qui migraient vers la capitale suivaient les mêmes schémas. C'est un mimétisme. Une personne ou deux arrivent, s'installent puis à leur tour ramènent les copains, leur montrent comment faire. » De l’Auvergne au Pakistan, même combat. Dans sa boutique, Saleem pointe du doigt un jeune homme. « Par exemple, lui c'est mon cousin. Il travaille avec moi, mais un jour il va monter sa propre affaire. » Les communautés saisissent donc clairement des opportunités de business. « Par définition, le migrant est souple. Il est dans une instabilité la plus totale, donc il s'adapte », pointe Stéphane de Tapia. « Le choix est celui de ce qui est rentable un temps, quand ça ne l'est plus assez, on change de métier, et on libère un créneau pour une autre génération de migrants. »
En face de la poste du quartier, Liliane, d'origine chinoise vient, tout juste d'ouvrir son magasin de vêtements. Comme ses parents. Elle a 25 ans et confirme les propos du géographe. « Il faut toujours tenter sa chance. Je suis jeune. Si ça ne marche pas, je ferai autre chose. »
 

« Quand j'ai commencé, je ne savais même pas ce que c'était un défrisage »
Au milieu de ses crèmes défrisantes, perruques et autres produits cosmétiques pour femmes noires, Saleem, lui, se rappelle. « Avant j'étais dans le tissu. Quand j'ai commencé, je ne savais même pas ce que c'était un défrisage... » Cliente d'un autre magasin du quartier, Anna confirme. Saisir une opportunité économique pour ouvrir un commerce, cela implique parfois quelques conséquences sur le service rendu... « Souvent, ils (ndrl : les commerçants) ne connaissent rien aux produits. Il suffit de poser deux, trois questions et ils sont dépassés... » La relation des clients aux commerçants reste cordiale, mais Saleem reconnaît ne pas vraiment fréquenter d'Africains en dehors de son travail. Avant de lâcher, dans un sourire : « Un jour pourquoi pas ? »
A quelques rues de là, le mélange est déjà en marche. Saïd travaille comme vendeur. Son magasin est tenu par des gérants d'origine chinoise. Alors qu'il prend une pause devant le magasin avec Valérie, voisine esthéticienne qui fume une cigarette, il rigole. « Ça c'est un mélange, regardez : un Arabe et une Française… C'est vrai qu'en général les Chinois, ils travaillent en famille. Mais nous, dans le quartier, on est deux ou trois à travailler pour eux. Et ça se passe super bien. »
 

Renée Greusard
 

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