
Foot communautaire : de l’exclusion à l’intégration… ou vice-versa ?

En juillet 1998, au lendemain de la finale de la Coupe du monde de football, politiques et médias saluaient la victoire d’une équipe de France « Black-Blanc-Beur ». Grâce à l’exploit de Zidane, Deschamps, Henry et consorts, le ballon rond était alors présenté comme un formidable vecteur d’intégration. Paradoxalement, ce football métissé s’est construit à travers des clubs à caractère « communautaire ». Enquête dans ces associations sportives devenues pour la plupart ordinaires.
Saint-Denis, 8 juillet 1998, 22h25. Agenouillé sur le gazon du Stade de France, les bras en croix, Lilian Thuram n’en revient pas. L’arrière droit tricolore vient de marquer son deuxième but face à la Croatie, propulsant l’équipe de France en finale de la Coupe du monde pour la première fois de son histoire. Jusque là, le défenseur antillais de Parme, en Italie, n’avait jamais inscrit le moindre but chez les Bleus. Une consécration dans sa carrière. Carrière qui débuta dans un club à caractère « communautaire » : les Portugais de Fontainebleau, en Seine-et-Marne.
Cette trajectoire pour le moins atypique, alors que politiques et médias louent alors le métissage culturel de la France à travers son onze « Black-Blanc-Beur », reflète la réalité d’un sport qui s’est développé tout au long de son histoire à travers des équipes créées par des immigrés. Dans les différents districts de football de l’Hexagone, et plus particulièrement en région parisienne, il n’est pas rare de rencontrer des clubs dont les noms réfèrent à des nationalités étrangères. L’Amicale des Mauriciens, le FC Anatolie, le Maccabi Paris, Les Portugais de Noisy-le-Grand sont quelques exemples parmi d’autres.
Des clubs repliés sur eux-mêmes ? « Il faut faire attention aux idées reçues. Ce n’est pas parce qu’un club porte le nom d’un autre pays qu’il est forcément communautaire », souligne William Gasparini. Ce sociologue spécialisé dans l’étude du sport et de ses organisations, enseignant à l’Université de Strasbourg, a enquêté sur les clubs turcs en Alsace. Il affirme que ces derniers ne sont pas « communautaristes » et que, s’ils comprennent pour la plupart 80% de joueurs originaires de Turquie, ils ont su « rester ouvert aux autres populations ». Le sociologue cite même le cas du l’AS Portugais de Sélestat (Bas-Rhin) qui ne compterait quasiment plus aucun joueur ibèrique…
Progresser, c’est s’ouvrir
Selon lui, c’est le niveau qui a une influence majeure dans l’évolution de ces clubs. « Plus on grimpe dans la hiérarchie footballistique, plus on s’ouvre. Parce que dans une communauté, à un moment donné, on est limité par le niveau. A l’inverse, les bons joueurs quittent parfois le club communautaire dans lequel ils ont débuté pour évoluer dans une meilleure division », explique-t-il.
Un point de vue partagé par Patrick Mignon, chercheur à l’Insep (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance). « Pour qu’un club reste communautaire, il faudrait qu’il ne progresse pas sportivement. Les clubs anciens comme le Maccabi de Paris 1 ou les Lusitanos de Saint-Maur 2 ont été obligés de recruter, quelle que soit l’origine ethnique des nouveaux joueurs, pour s’améliorer. Ils sont aujourd’hui des clubs ordinaires, même si éventuellement, dans le conseil d’administration, on peut trouver des personnes qui représentent le passé communautaire du club », argumente-t-il.
Créé en 1974, l’Association sportive Ararat Issy (Hauts-de-Seine) a elle aussi suivi ce processus d’acculturation. Fondée à l’origine par une bande de copains, l’Asa était destinée à la communauté arménienne d’Ile-de-France. Peu à peu, la petite équipe de vétérans s’est élargie, structurée, a accueilli des joueurs de différents horizons et a gravi les échelons pour se hisser jusqu’en CFA 2 (cinquième division nationale) en 2006. « On prend les meilleurs, on ne peut pas se permettre de n’avoir que des Arméniens. Et nous n’avons jamais voulu faire de communautarisme sectaire », souligne Franck Toutoundjian, coprésident de ce club de quelque 400 licenciés. Un cheminement qui reflète la tradition républicaine française fondée sur le brassage, le creuset d’intégration, par opposition à la tradition « multiculturaliste » d’autres pays européens, notamment l’Allemagne, qui développent des dispositifs de discrimination positive et favorisent le sport communautaire.
Repli sur soi
Peut-on en déduire que les clubs créés sur des bases communautaires sont forcément intégrateurs ? Difficile d’y répondre sans hésitation. Car, s’il y a vingt, trente ou quarante ans, les immigrés montaient des équipes de football, c’était dans le but de s’intégrer par le sport. Aujourd’hui, ils le feraient plutôt par souci de « revendication identitaire » ou « de repli sur soi », dans un réflexe de « lutte contre l’exclusion économique et raciale », selon Patrick Mignon. « Pourquoi des clubs à caractère communautaire se créent encore ? Parce qu’il existe un sentiment de discrimination chez certaines communautés », renchérit William Gasparini. Parfois, les raisons sont mêmes plus simples. A l’image des Assyro-Chaldéens de Sarcelles (Val-d’Oise). Créé à la fin des années 90, le club compte deux équipes d’adultes évoluant en 3e et 4e division de district, le plus bas niveau en catégorie seniors. « Nous ne sommes pas dans une logique de compétition. Le but est d’inciter les jeunes Assyro-Chaldéens à se retrouver, les inciter à jouer au football pour éviter qu’ils ne dérivent à droite ou à gauche », explique l’entraîneur, Albert Bastide.
Dans la section football de l’Aschef (Association socioculturelle Hamam Fougani), qui rassemble des jeunes originaires de la ville de Figuig au Maroc, et dont l’équipe évolue également en 4e division de district, l’objectif est aussi de se retrouver « entre copains dans un cadre convivial », selon le responsable Mohammed Jabri. « Dans les clubs traditionnels, il y a souvent beaucoup de concurrence et de contraintes. On n’est pas sûr de pouvoir jouer le dimanche si on n’a pas le niveau. Créer cette équipe, c’était l’occasion de faire jouer tout le monde », ajoute ce dernier, en assurant que 20% des joueurs ne sont pas des ressortissants marocains.
Interrogé sur le sujet 3 , Lilian Thuram estimait pour sa part que « s’il n’y a pas d’exclusion, le communautarisme n’est pas un problème en soi (…). Tout dépend du message véhiculé au sein du club. Si c’est pour se retrouver, passer un bon moment, pour retrouver une part de sa culture, ça ne pose pas de problème. La vraie question est la suivante : est-ce que la communauté est ouverte ou fermée ? ».
Ludovic Luppino - ressources Urbaines
1 Le club évolue en Division supérieure régionale (DSR), l’équivalent de la septième division nationale.
2 Aujourd’hui en Division d’honneur (DH), l’équivalent de la sixième division nationale, le club s’était hissé jusqu’au National (3e division) en 2001.
3 Interview publiée dans l’ouvrage Sport et discriminations en Europe, regards croisés de jeunes chercheurs et de journalistes européens, sous la direction de William Gasparini et Clotilde Talleu, éditions du Conseil de l’Europe, 2010, 165 pages.