Du Halal dans le potage

Le 05-04-2011
Par xadmin

Le débat sur la laïcité me semble résonner comme une blague, dans ma ville. Mais histoire de tâter l’ambiance avant la grande journée du 5 avril, je vais quand même aller faire un petit tour au marché de Saint-Denis, ce matin. Pour me changer les idées, prendre la température et acheter un sac d'oignons.

D'emblée je tombe sur un type qui scande à qui veut bien l'entendre que le changement à Saint-Denis passera par son élection aux cantonales. Je me dis que c'est certainement un type envoyé par une secte obscure qui va piller mon compte en banque pour m’offrir un bracelet bleu banc rouge qui me donnera de la force, du travail et un logement. Non merci. J'ai juste de quoi prendre mes oignons et je suis là pour savoir ce que les gens pensent de ce fameux débat sur l'Islam. Je sors mon appareil photo et me lance dans une série que j'appellerai « exercices capillaires » pour faire artiste. Dans l'objectif, j'ai des tresses pralinées, des foulards citron vert, des faux cheveux OGM, des niqabs cacao, quelques crânes rasés et même des crinières de mamies qui oscillent entre jaune pamplemousse et orange sanguine.

Avant de m'aventurer dans la halle, je tape un brin de causette avec le fleuriste à la moustache jaunie par la gitane maïs. Lorsqu'il apprend que j'écris un article en réaction au débat lancé par le Président, il fait mine de ne pas savoir de qui je parle et me lance: « Ça fait un bout de temps que j'l'écoute plus, si j'm’y mets, je fane. Il est p’t-être pas grand mais il cache le soleil ». Je tente d'élever le débat en lui parlant d'Islam et de laïcité mais il m'interrompt en m'annonçant solennellement que « sur la même terre poussent des fleurs différentes et qu'y a pas de quoi philosopher ». J'étais à la recherche d'un anthropologue et je tombe sur un prophète botaniste. J'abandonne et décide de me frayer un chemin entre verres en Pyrex incassables à sept euros et étoffes africaines made in China, et atterris dans la halle, rayon charcuterie halal. Rien à envier à Fleury-Michon.

La clientèle se bouscule et fait saturer l'écran de mon super appareil photo tellement les couleurs sont variées. Je me dirige avec une idée bien précise : atteindre le stand des épices. Si vous passez par Saint-Denis, n'hésitez pas à rendre visite à ce couple qui, à lui seul, résume avec innocence le multiculturalisme. Vous trouverez des épices sucrées, amères, douces, relevées, légères, prononcées. De la camomille, du paprika, des queues de cerises, du curry, de la fleur de rose et d'oranger, de la coriandre et de l'hibiscus. Le vendeur, teint mat et regard sévère sur mon objectif, sourit lorsque je me présente et lui annonce ma quête. « Le multiculturalisme a-t-il échoué ? » A l'évidence non. Il me dit que je suis chez moi ici et pose pour la photo avec une cliente. Celle qui l'accompagne a le visage d'une douceur maternelle et de grands yeux clairs. Elle semble déjà avoir eu cette discussion avec d'autres curieux de mon genre, tellement son discours est simple, son ton apaisant et son assurance marquée. Je prends quelques photos et file embêter le boucher.

Celui-ci par contre est un vrai Français pur porc. Groins, lard, oreilles, tripes : tout est bon dedans à ce qu'il paraît. J'avoue être en admiration devant tant de bouchées farcies et de pâtes feuilletées. Même discours chez cet homme aux joues rouges sang : « Y'en faut pour tout le monde, en quinze ans de marchés j'ai jamais eu de soucis, tant qu'on se respecte, tout va... ». Je lorgne ses spécialités et décide de faire un crochet par le primeur avant de céder à la tentation et faire voler en éclat trente ans d'éducation pour un morceau de pâté en croûte. La vieille dame qui tient son étal de légumes « purs produits de mon champ si tu me crois pas vérifie mes épinards ils sont encore pleins de terre » observe mon manège depuis un petit moment et feint la surprise quand je l'accoste. Elle m'accueille avec beaucoup de gentillesse et me demande si j'écris pour Le Monde. Je n’ai pas le temps de lui répondre qu’elle s’occupe déjà d’une cliente à qui elle propose des choux-fleurs « tout nature, tout frais ». Pour moi c’est elle, la France du terroir. Elle porte des sabots, un tablier avec des petites fleurs, un anorak bleu par dessus, des lunettes embuées aux verres épais, un léger strabisme et une gouaille pas possible. Elle chante la java bleue et me dit que ça lui fait plaisir qu’on lui demande son avis de temps en temps, « qu’ils nous enfument avec ces histoires de religions, ici, au marché, on vient tous chercher le même bout de pain ». Un merci, une petite photo et je redémarre.

Je file acheter mes oignons, je passe à la maison mettre les photos sur clé USB pour les faire imprimer chez le chinois d’à côté et les redistribuer à mes modèles préférés du marché. Une fois ces petites missions terminées, j’irai terminer ma ballade « vendredicale » à la mosquée, située à l’angle de la rue de la boulangerie et de la rue du jambon : elle est pas belle la France ?
 

Salim Ardaoui / Presse & Cité

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