
Ces médias qui font la diversité culturelle

Les détracteurs d’une société multiculturelle lui reprochent d’être constituée de communautés refermées sur elles-mêmes. Dans ce contexte, on se trouve facilement accusé de communautarisme, pour peu qu’on affirme une identité propre. Ce qui n’est pourtant pas synonyme de fermeture aux autres, comme peuvent en témoigner plusieurs médias français dits « de la diversité ».
Diversité d’origines
Affirmant chacun sa spécificité, Beur FM, Saphir News ou Afriscope sont souvent étiquetés « communautaires ». Pourtant la réalité de leurs équipes et de leurs méthodes de travail va à l’encontre des idées reçues. Aucun de ces médias ne fonde son recrutement sur des critères ethniques ou religieux, même de manière informelle. La condition principale demeurant les compétences et les connaissances du domaine traité.
Venir d’horizons différents ne remet pas en cause la spécificité du média en question. Animateur du Forum Débat, Abdelkrim Branine témoigne d’un « état d’esprit Beur FM » auquel adhèrent les animateurs non Maghrébins. De son côté le magazine culturel et citoyen Afriscope compte aussi bien des journalistes originaires d’Afrique noire, du Maghreb, que des Français simplement passionnés par l’Afrique. Le site musulman d’actualité Saphir News regroupe également des journalistes d’origines diverses : Côte d’Ivoire, Vietnam, Maghreb, France… Si cette diversité culturelle est venue naturellement, un effort particulier avait été fourni pour rassembler « une diversité d’expériences», basée sur des personnes issues de différentes organisations musulmanes : « Nous avions la même volonté et la même soif de débattre de certains sujets dont on ne pouvait pas débattre au sein de ces structures, assure Mohamed Colin, le rédacteur en chef du site. Dix ans après, cette volonté existe toujours. »
Diversité du contenu
Mais le fait d’affirmer une identité spécifique n’impose-t-il pas de se limiter à certaines thématiques et de se fermer à d’autres ? Bien au contraire ! Dans le cadre de son émission, Abdelkrim Branine aborde des sujets aussi divers que les élections cantonales ou le nucléaire. « J’ai une totale liberté dans le choix de mes thèmes, dans le ton. » Il estime même qu’il n’aurait pu le faire sur les médias généralistes. Il accuse ces derniers de cantonner les journalistes issus de l’immigration à des sujets stéréotypés. Car s’il reconnaît l’intérêt particulier de son public pour la Palestine et l’islamophobie, il n’hésite pas aborder des injustices subies par d’autres populations. « Moi j’arrive avec cette culture de la diversité… Je viens d’un milieu où on a toujours été mélangé. Pour moi c’est évident qu’il y’a de la place pour tout le monde. » Aussi aborde-t-il l’intolérance et les discriminations subies par les Roms ou les homosexuels.
De son côté, Saphir News évoque des sujets allant des élections à l’économie en passant par des thèmes de société et l’actualité culturelle. Des articles évoquent les différentes manières de célébrer les fêtes religieuses selon les cultures, tandis que d’autres évoquent le dialogue interreligieux. « On est dans une société multiculturelle de fait, on a tous des amis cathos, juifs…» témoigne Mohamed Colin, qui a grandi dans un quartier populaire, où coexistaient différentes cultures et religions. Saphir News a ainsi rendu compte de l’intérêt des Musulmans pour le film Des hommes et des dieux.
C’est l’absence d’intérêt des médias généralistes pour certains sujets qui les coupe d’une partie de la réalité française. Rédactrice en chef d’Afriscope, Ayoko Mensah évoque ainsi avoir constaté une demande d’information concernant l’Afrique et sa diaspora. Cela a motivé la création de ce bimestriel gratuit évoquant des sujets de société ainsi que l’actualité culturelle et citoyenne. Exemple : si la question des sans-papiers a plus d’une fois été évoquée, la parole des intéressés n’est souvent pas prise en compte. En revanche, lorsque Afriscope interviewe Anzoumane Sissokho, porte-parole de la Coordination des Sans-Papiers 75, il a droit à la couverture et peut longuement s’exprimer.
Diversité du public
Ces thématiques semblent susciter un intérêt au-delà même du public « communautaire ». « Sur les abonnés, on estime qu’il y a entre 20 et 30% de gens extérieurs aux cultures musulmanes, qui s’abonnent par curiosité, assure Mohamed Colin ». En contact avec leur public, les animateurs de Beur FM constatent sa diversité. Animateur des émissions musicales L’Aprem, Top 20 et Méga Raï Party, DJ Kim remarque : « J’ai des auditeurs qui s’appellent Aurélie, Thomas, Julien… qui appellent dans l’émission. Beur FM est une vraie radio française, qui a ciblé commercialement une frange de la population au niveau de la musique, avec des musiques maghrébines ou du R’n’B. Mais qui par ses débats et son expression orale à l’antenne s’adresse à tout le monde. » De son côté, lors du Forum Débat, Abdelkrim Branine dialogue avec des auditeurs originaires du Monde arabe ou d’Afrique noire, des Juifs maghrébins, des Français…
Au vu des retours par rapport aux lieux de diffusion d’Afriscope, Ayoko Mensah constate que son « public est très divers, au-delà des barrières identitaires et sociales. Ça va des collégiens de Pantin à un public plus âgé lorsque le magazine est distribué à Culture France, au Conseil régional ou au Musée du Quai Branly ». Et lorsqu’un effort est fait envers le public des foyers, il rencontre un public réceptif face à une démarche qui le fait sortir de son univers habituel. « On a senti qu’ils étaient contents que l’on s’intéresse à eux. Ils ont visiblement bien vécu le fait d’ouvrir à d’autres thématiques qui incitent plutôt à l’échange ».
Echange. C’est une bonne base pour un média, qui, comme l’indique son étymologie, « relie ».
Michel Ferneiny