Dossier : " Qui veut la peau des assos ? "

Non à la disparition des associations - Erwan Ruty (Presse&Cité)
Le 01-10-2013
Par Erwan Ruty

Au moment où le petit monde des associations se réunissait ce samedi 21 septembre porte de Pantin, à Paris, un appel aux dons ne trompait pas sur le contexte de cette mini-manif : c’est la crise pour les assos. Un appel aux dons qui émanait de l’archi-médiatique, archi-subventionnée et archi-PS Ni putes ni soumises (« -46% de subventions publiques en deux ans »). C’est que ce milieu des assos est en pleine déconfiture, surtout au-delà du périph’. C’est pourquoi une large mobilisation était lancée depuis cet été, dénonçant rien moins que… « La disparition des associations ». Comment se fait-il ? Eléments de réponse de citoyens qui crient famine. 

 
« Il y avait un gros espoir en 2012 : des jeunes en casquette avec des panneaux Hollande dansaient devant la place du capitole », décrit, elle aussi, pleine de dépit, Mélanie Labesse, activiste toulousaine du Couac (Collectif urgence d’acteurs culturels), qui depuis 2001, regroupe une trentaine de structures adhérentes de la région. Pleine de dépit, car depuis, la roue a déjà tourné. « Le problème avec la gauche, c’est que c’est la même façon de faire qu’avec la droite. Il n’y a pas de confiance envers les associations. Et elle a encore plus de mal à reconnaître qu’elle n’est pas en phase avec la demande sociale des quartiers. Dès qu’on va sur le terrain social, les soutiens disparaissent ».


CRÉDITS DIVISÉS PAR DEUX EN DEUX ANS

Son compère Salah Amokrane, abonde dans son sens. Lui travaille depuis le début des années 80 à la lisère de l’action sociale, de l’éducation populaire et de la culture, aux côtés du groupe Zebda : « Nous n’avons pas de relations avec le ministère de la Culture, même si on a de bonnes relations avec la Drac Midi-Pyrénées. Et nos crédits ont été divisés par deux en deux ans avec la DRJSCS [qui, localement, distribue les crédits « politique de la ville », ndlr]. Mais on s’en sort moins mal que d’autres : on a une antériorité, un réseau… C’est beaucoup plus dur pour les petites associations. » D’autant que son association, le Tactikollectif, forte d’un budget d’environ 500 000 euros par an, peut compter sur près d’une moitié d’autofinancement : concerts et spectacles en particulier. Salah, nuance cependant le tableau, pour ce qui le concerne personnellement : « Les relations ont beaucoup changé avec le nouveau pouvoir. Il y une relation fréquente avec l’Etat, avec les cabinets ministériels. Je n’avais jamais rencontré de ministre avant. Là, ça s’est fait à plusieurs reprises, et je ne suis pas le seul. » Salah a en effet été nommé au conseil d’administration de l’Acsé, ainsi que dans une commission sur la « Mémoire des quartiers » en 2013.


« ON EST TOUJOURS DANS L’OPPOSITION »

Mais toutes ces sympathiques discussions ne restent-elles pas de l’ordre du… discursif ? C’est ce que semble croire Reda Didi, responsable de Graines de France, qui en juin dernier, déclarait à la presse du soir au sortir d’un rendez-vous avec le Président de la République alors qu’il recevait une dizaine d’acteurs des quartiers : « On a eu des déclarations d’amour, mais pour les preuves d’amour, on attend toujours ». Les habitants des quartiers ne vivraient-ils donc que d’amour et de thé à la menthe ? C’est ce que semblent croire les décideurs. En tous cas, certains responsables historiques du milieu associatif, y compris les plus proches du PS, le pensent. L’un d’entre eux, de SOS Racisme, reçu en fin d’année 2012 par le ministre de la ville, clamait devant une trentaine d’acteurs des quartiers : « On est au regret de constater qu’on est encore dans l’opposition ». Quand on connaît les liens de ladite structure avec la gauche, cette sortie laisse rêveur. D’autant que l’un de ses compagnons de route, Samuel Thomas, directeur de la Fédération nationale des Maisons des potes (et ancien vice-président de SOS Racisme), enfonce douloureusement le clou : « Les différents ministres prétendent qu’on a fait plus pour ceux qui ont moins. C’est faux, c’est l’inverse ! Que cela soit dans l’éducation, dans les médias ou dans la culture… »

« J’ai écrit à 30 préfets ; 100% de réponses négatives ! »
Samuel n’est pas tombé de la dernière pluie. Actif dans les associations anti-racistes depuis le début des années 80, responsable d’une fédération qui a pourtant 20 ans, il enrage contre les coupes sombres opérées dans une action qu’il mène depuis des années en matière de lutte pour l’accès des jeunes des quartiers aux stages en entreprise, stages dont ils sont largement exclus. Exclusion qui, selon lui, est la mère du chômage et des discriminations à l’emploi dont sont ensuite frappés les jeunes des ZUS. « Cette action devait être prioritaire, disent nos financeurs. Or la somme qu’on nous donne a été baissée de 70% depuis un an ! Quand on a lancé « SOS Stages » avec le ministère de la Jeunesse et des sports, et celui de l’Education nationale [à l’époque de Jeannette Bougrab, ministre de François Fillon, ndlr], on avait eu deux fois trente mille euros en deux ans. Maintenant, c’est 8000 euros ; et pourtant, ils n’ont pas critiqué notre travail, notre efficacité ou notre « productivité » ! Ce sont de simples économies. On nous a alors dit : « on ne veut plus financer les associations nationales mais les locales. Demandez de l’argent localement » aux préfectures, aux municipalités… Et au local, en Préfecture, on nous dit : « Il n’y a plus de financement en 2012, ni en 2013 ». J’ai écrit à 30 Préfets en 2012 pour obtenir un soutien pour notre action sur les stages : 100% de réponses négatives ! »



« C’EST LE RYTHME DE TRAVAIL DE L’ADMINISTRATION QUI DICTE SES CHOIX AU POLITIQUE »

Et pour lui comme pour d’autres, les responsables élus qui votent les crédits ont pour habitude de se cacher derrière leurs administrations, qui pourtant sont seulement censées appliquer leurs décisions. «  Les raisons de ces refus sont toujours techniques ! précise ainsi Samuel. C’est le rythme de travail de l’administration qui dicte ses choix au politique ! Par exemple, il faut déposer ses dossiers de financement entre telle et telle date. C’est une technique inventée pour donner moins d’argent ! Celui qui est capable de présenter un budget en octobre pour l’année d’après, c’est celui qui est là depuis longtemps. Ca demande aux associations de fonctionner comme l’Etat. Il faudrait plutôt aider les associations à être plus efficaces et plus inventives. »



« JE NE VOIS PAS DE CHANGEMENT DEPUIS 2012 »

Un sérieux problème de fond qui va bien plus loin que de la simple responsabilité de la nouvelle majorité, et que constate lui aussi David-Gabriel Bodinier. Ce salarié est le pilier fondateur de Planing, une structure grenobloise fer de lance d’un collectif de 80 assos locales travaillant dans les quartiers de l’agglo comme la Villeneuve, sur la politique de la ville. Une « politique de la ville » mais version « empowerment », avec ses « Ateliers populaires d’urbanisme ». Il ne mâche pas ses mots : « Je ne vois pas de changement depuis 2012 : il n'y a pas conscience au gouvernement de la transformation de ce secteur. On croit encore que l'ancien modèle existe. Certes, le gouvernement est conscient de notre rôle, mais je ne vois pas de vision. Il n'y a plus de plan. Les associations attendent des actes d'un pouvoir qui n'a plus le pouvoir de prévoir quoi que ce soit, ni même les compétences de prévoir : les grands corps d'état ne sont plus là, et le ministère de l'Equipement n'est plus qu'une petite branche d'un ministère qui est une coquille vide sans moyens [celui de l’Ecologie, ndlr]. En trente ans, la décentralisation et la libéralisation ont provoqué une dilution des pouvoirs... »



« ON A CHOISI DE SORTIR DU JEU DES SUBVENTIONS »

David-Gabriel est le témoin vivant de cette évolution, qu’il assume totalement : « Nous nous sommes adaptés à cette réalité. Nous avons décidé de créer des associations spécifiquement pour chaque projet, pour une courte durée (deux ou trois ans), puis une nouvelle pour un nouveau projet... on monte notre association pour défendre un projet que l'on propose uniquement à des fondations. J'arrive mieux à défendre ma structure et la centrer sur le coeur de son projet, contrairement à ceux qui avaient prévu un plan A, B, et C, et font finalement X et Y pour rentrer dans les critères des appels à projet et  pérenniser leur structure. Je refuse d'aller déposer des dossiers aux CUCS [Contrats urbains de cohésion sociale, qui accompagnent le plus souvent les opérations de rénovation urbaine, ndlr], de faire la queue à un guichet qui n'a ni cohérence, ni projet et qui parle « gouvernance », « partenariats », passe de l'aide aux devoirs à la « réussite éducative », avec la mise en concurrence des associations via les appels à projets... et de toute leur ingénierie sont venus se mettre entre les associations et les institutions ».



COURIR APRÈS UN MODÈLE QUI N’EXISTE PLUS ?

« Cela a transformé les associations. Mais ce mode de fonctionnement est normal pour nous : j'ai trente ans, nous avons commencé en 2010, je n'ai jamais connu autre chose. Avant, il y avait des aides au fonctionnement, une éducation populaire avec un ministère ; mais avec la décentralisation, on gouverne les populations à distance dans une forme d'entreprenariat social. Les associations courent après un modèle de société qui n'existe plus. Qui plus est, maintenant, les gens adhèrent à une association à un moment donné de leur vie, pour un projet, puis ça se défait, et ils passent à autre chose. » Une vision crue, voire cruelle, qui a totalement intégré le précariat généralisé que nous propose la France du XXIème siècle (mais pas seulement elle), et qui va à la fois plaire à des pouvoirs publics qui ne veulent plus mettre la main à la poche… et sans doute ébranler bien des associations à la papa, si ce n’est même jeter une pelletée de terre sur leur cercueil.


QUI SONT LES VRAIS « PIGEONS » ?

Mais gare ! Car l’hémorragie dont souffre ce secteur pourrait bien être un poison à effet lent : le rapport « Connaissance des associations » décompte 1,7 millions d’emplois dans cet écosystème, soit 7,7% de l’emploi en France… mais surtout 59,6% de l’emploi dans le secteur « action sociale » (20% de « l’éducation » et 42% des « arts et spectacles ») ! Pour ce qui concerne les quartiers populaires spécifiquement, l’hécatombe est flagrante : entre 2008 et 2012, on est passé de 12 000 à 7000 associations soutenues par l’Acsé (Agence pour la cohésion sociale et l’égalité des chances), premier organisme d’aide aux assos de quartier. De toute évidence, les vrais « pigeons » ne se cachent pas dans les nuages des start ups du numérique, mais bien dans les coursives des cités en rénovation.

« Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés », disait Jean de la Fontaine dans « Les animaux malades de la peste ». Tant il semble que les associations, qui étaient jusqu’ici les sous-traitants dociles d’une large fraction de la politique sociale de la France, sont, depuis la crise, en train de devenir la variable d’ajustement de sa politique de l’emploi… on peut les faire disparaître de manière indolore, puisqu’elles sont éparpillées, divisées, affaiblies, sans lobby ni syndicat efficace, sans visibilité ni relais médiatique. Ce que Sarkozy n’avait pas réussi à faire, les enterrer, son successeur y parviendra-t-il ? On est bien aujourd’hui face à ce triste scénario quasi hollywoodien : die hard dans les assos de banlieue. Heureusement, le darwinisme social existe aussi dans ce milieu ; les plus aptes à s’adapter à leur environnement de plus en plus sauvage auront la vie sauve et les canines acérées pour toutes les luttes à venir, à base « d’empowerment » ou de « crowdfunding ». Vous avez dit la loi de la jungle néo-libérale ? Oui. C’est dès aujourd’hui en banlieue, et pour demain dans toute la France.
 

 

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