
Qui veut la peau des assos ? Episode 4 : Grenoble, La Villeneuve

David-Gabriel Bodinier est le pilier fondateur de Planing, structure grenobloise fer de lance d’un collectif de 80 assos locales travaillant dans les quartiers de l’agglomération comme la Villeneuve, sur la politique de la ville. Mais version « empowerment », avec ses « Ateliers populaires d’urbanisme ». Et avec ses méthodes très pragmatiques, tant il ne croit plus aux vielles recettes du milieu.
P&C : Vos activités sont gérées de manière originale. Pouvez-vous décrire ce procédé ?
D-GB : Ca fait quatre ans que je mène un travail de terrain sur la Villeneuve, consécutivement à l'été 2010 qui a marqué une rupture par rapport à ce qui avait été fait jusqu'alors ici. C’est à Grenoble qu’est née la politique de la ville et le traitement des quartiers en périphérie, dès 1965, grâce à la municipalité. Notre travail, qui est une expérimentation basée sur le community organising, a d'abord été porté par l'association Echo, entre 2010 et 2012. Cela a permis de rassembler 80 organisations des quartiers populaires de Grenoble, les Ateliers populaires d'urbanisme, et de définir son propre agenda, indépendamment des politiques. Nous avons décidé de créer des associations spécifiquement à chaque projet, pour une courte durée (deux ou trois ans), puis une nouvelle pour un nouveau projet... C'est un modèle qui n'est pas idéal mais qui fonctionne. J'arrive mieux à définir ma structure et la centrer sur le coeur de son projet, contrairement à ceux qui avaient prévu un plan A, B, et C, et finalement font X et Y, pour pérenniser leur structure et pour rentrer dans les critères. Nos structures ne sont pas induites par des appels à projets : on monte une structure pour défendre un projet que l'on propose à des fondations, uniquement. Et ce, localement, avec la fondation Abbé Pierre, Charles Léopold Mayer, Un monde par tous etc...Ce mode de fonctionnement est normal pour nous : j'ai trente ans, je n'ai rien connu autre chose.
P&C : Pourquoi avez-vous décidé de procéder ainsi ?
D-GB : On a choisi de sortir du jeu des subventions, pour sortir des aléas politiques. Je refuse d'aller déposer des dossiers aux CUCS, de faire la queue à un guichet qui n'a ni cohérence, ni projet, qui parle « gouvernance », « partenariats », qui passe de l'aide aux devoirs à la « réussite éducative », avec la mise en concurrence des associations via les appels à projets... Le développement des appels à projets et de toute une ingénierie qui est venue se mettre entre les associations et les institutions, a transformé les associations. Avant, il y avait des aides au fonctionnement, une éducation populaire avec un ministère ; mais avec la décentralisation, on gouverne les populations à distance dans une forme d'entreprenariat social. Les associations courent après un modèle de société qui n'existe plus. Qui plus est maintenant, les gens adhèrent à une association à un moment donné de leur vie, pour un projet, puis ça se défait ; ils choisissent plusieurs associations, à différents moments de leur existence.
P&C : L’arrivée de la gauche a-t-elle changé la donne ?
D-GB : Je ne vois pas de changement depuis 2012 : il n'y a pas conscience au gouvernement de la transformation de ce secteur. On croit encore que l'ancien modèle existe et qu'on va le sauver grâce aux grosses structures. Certes, le gouvernement est conscient de notre rôle, mais je ne vois pas de vision. Il n'y a plus de plan. C'est pour ça qu'on s'appelle Planing ! On doit planifier l'avenir sur quatre ou cinq ans, même si c'est pour réorienter ensuite. Mais on attend des actes d'un pouvoir qui n'a plus le pouvoir de prévoir quoi que ce soit, ni même les compétences de prévoir : les grands corps d'état ne sont plus là, et le ministère de l'Equipement n'est plus qu'une petite branche d'un ministère qui est une coquille vide, celui du Développement durable. En trente ans, la décentralisation et la libéralisation ont provoqué une dilution des pouvoirs... Nous nous sommes adaptés à cette réalité.
P&C : Comment voyez-vous l’avenir du milieu associatif, à court terme ?
D-GB : Pour être indépendant je ne vois pas comment faire autrement qu'en mettant en place des budgets participatifs sur un territoire et un domaine donné. La plateforme évoquée par la mission Bacqué-Mechmache, ça serait ça. A l'occasion des prochains contrats de ville, il faudra qu'on s'allie pour que les budgets soient répartis entre associations de manière collégiale et non concurrentielle, même si ça doit prendre du temps pour qu’on y arrive. On doit faire irruption dans les contrats de ville.