Entre fiction et réalité -Ressources Urbaines

Le 07-12-2010
Par xadmin

L’Histoire s’enseigne. La Mémoire, elle, se transmet. Le cinéma peut il être vecteur de transmission, mais aussi d’éducation? Un enjeu à part entière. Surtout s’il permet de « décoloniser les imaginaires.»

Le film Vénus Noire, depuis peu sur les écrans, interroge les regards réciproques de l’Occident sur l’Afrique. Une question qui reste à creuser, à défricher, à cerner. Autre exemple? «Héros d’origine maghrébine» : L’équation paraît anodine. Mais il aura fallu près de 60 ans pour en arriver là. Selon Naima Yahi, chercheuse à l’association Génériques, « la figure du Maghrébin dans le cinéma est passée du colonisé sans épaisseur dans les années 30 à un héros à part entière à partir des années 90». Ce processus, la guerre d’Algérie en est l’un des principaux objets. « Nuit noire, 17 octobre 1961 réalisé par Alain Tasma, en 2005, est un tournant», relève t-elle. Il traduit «une vraie demande mémorielle, d’autant que cette Histoire reste voilée», poursuit-elle.

Fiction : une Histoire subjective?

«La fiction peut servir l’Histoire à condition que le réalisateur ne la manipule pas à des fins subjectives, mais au contraire l’utilise pour s’approcher de la réalité», précise Yamina Benguigui, réalisatrice, également maire adjoint à la mairie de Paris, chargée des droits de l’Homme et de la lutte contre les discriminations. Une démarche pas forcément respectée. A dessein, parfois. «Dans Carnets de voyage, biopic sur le Che, le réalisateur condense trois jours sur une journée, rappelle Karim Bensalah, comédien et réalisateur. Soit le réalisateur restitue fidèlement l’Histoire, soit il décide de travailler de manière subjective. Mais dans ce cas, il faut bien expliquer au public que l’histoire est scénarisée, afin d‘éviter toute confusion. » Autre outil pour aborder la Mémoire, le documentaire. Si Yamina Benguigui manie l’art de la fiction et du documentaire, elle établit une distinction très nette entre les deux genres. «Dans le documentaire, la finalité consiste à mettre en images le réel. Basé sur des bribes d’histoires individuelles, le documentaire permet d’écrire une histoire collective », précise-t-elle. Et donc de créer un dialogue, faire reculer les préjugés…

Tewfik Farès, scénariste de « Chroniques des années de braise », palme d’or à Cannes en 1977, est plus critique. «Je ne crois pas que la fiction ou le documentaire aient permis de décoloniser les imaginaires.» Pourtant, « dans les années 2000, on a assisté à la diversification de l’image du franco-maghrébin au cinéma», note Naïma Yahi, exemples à l’appui. Jamel Debbouze dans le rôle de Lucien dans Amélie Poulain (2001), ou Kad Mérad dans Bienvenue chez les Ch’tis (2007). Les stéréotypes, en revanche, restent tenaces concernant la femme maghrébine. Elle est d’abord cantonnée à des rôles de prostituées. On se souvient de Souad Amidou dans Le Grand Frère (1982) ou Rachida Brakni dans Chaos (2001). Aujourd’hui, elle incarne plutôt «la femme soumise à la famille ou aux traditions.» La fiction, un exercice périlleux donc? «Oui, car un réalisateur est toujours traversé par la réalité qu’il traite», répond Bensalah.


La fiction, vecteur d’éducation populaire?

Difficile donc d’utiliser la fiction pour éduquer les jeunes générations à l’Histoire? «Dans un film comme Hors-la-loi, la fiction a permis de mettre en images un contexte historique souvent occulté et ignoré», constate Yamina Benguigui. Quand on connait le halo qui entoure le sujet de la guerre d’Algérie, la fiction comporte bien un aspect d’éducation populaire.
Les répercussions au plan politique sont parfois possibles. Indigènes (2006), de Rachid Bouchareb, avait ainsi poussé Jacques Chirac, alors Président de la République, à réévaluer les pensions des anciens combattants issus des colonies. L’Histoire écrite par la fiction…Mais jusqu’où peut aller la fiction pour éduquer les jeunes à la Mémoire ? Farès, lui, pose le problème autrement. « La question est de savoir comment? Le cinéma français représente une part infinitésimale dans la masse mondiale…» Et le réalisateur, né en 1937, d’ironiser : « la fiction est comme un traitement homéopathique pour décoloniser les esprits.» A petites doses, donc…

Nadia Henni / Ressources Urbaines
 

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