
Femmes : 30 ans de luttes oubliées dans les quartiers (épisode 3)

Les luttes des femmes dans les quartiers recoupent à la fois des revendications féministes, mais aussi des combats liés à l’immigration et aux quartiers. Aujourd’hui, ils sont encore d’actualité. Retour sur quelques uns de ces combats, à l’occasion de la 4ème Université des banlieues de Presse & Cité, le 23 juin 2014 à Villiers-le-Bel. Aujourd’hui : un collectif de femmes du Blanc-Mesnil (93).
Zouina Meddour, anciennement directrice du Centre social des Tilleuls (Blanc Mesnil, Seine-Saint-Denis), a animé dès 2004 des ateliers avec une trentaine de femmes de toutes origines, âgées de 30 à 75 ans. Souvent mères de famille éloignées de l’écrit et de la lecture. Pour utiliser un vocabulaire à la mode, Zouina a fait du community building : avec ce qui est devenu plus tard le collectif Quelques unes d’entre nous, elle a d’abord commencé par mettre en place des espaces informels.
« Comment sortir de la cuisine »
« J’expérimente différentes choses à partir d’un besoin qui s’exprime. Elles me demandaient de faire des ateliers cuisine. Je me suis dit que c’était peut-être un prétexte à autre chose, à des réflexions sur la vie quotidienne. On se demande comment « sortir de la cuisine ». C’est au moment où il y a des discussions devant le thé, après les ateliers cuisine, que le plus de femmes viennent. On voit bien que certains sujets reviennent, sur les problèmes d’accès à la CMU par exemple. On organise alors des rencontres avec des personnes-ressources extérieures, dans des salons de thé à thème. On apprend que beaucoup de médecins du quartier refusent la CMU, on apprend aussi que c’est illégal ; alors on pointe du doigt ces médecins qui sont dans l’illégalité… Les personnes sont amenées à comprendre qu’elles ont des droits. On a réussi à inverser le rapport de force : c’est eux les coupables, pas nous ! Depuis, un café associatif a été créé, les femmes participent à des Réveillons solidaires, à des soirées conviviales… »
Le premier besoin : exister
Un nouveau déclic survient suite à une rencontre avec la metteur en scène Mohamed Rouabhi, en résidence au Forum du Blanc-Mesnil. Le groupe de femmes finit par co-écrire une pièce, « Le bruit du monde m’est rentré dans l’oreille ». Puis, un autre, d’après les textes du sociologue Abdelmalek Sayad, sur l’immigration des années 60, et ses enfants (notamment les filles). Pour ce faire, une formation de quatre mois est menée, à raison d’une séance toutes les semaines pour écrire cette pièce, avec des chercheurs comme Samir Hadj-Belkacem, des militants comme Farid Taalba, ou le metteur en scène Philip Boulay : « Et puis nous passions le pantalon français ». Un projet atypique, puisque personne ne sait vraiment jusqu’où il ira et surtout quand il s’achèvera : « Ca prend du temps, pour que les gens élaborent tout ensemble… Certaines femmes se sont même alphabétisées, mais le premier besoin était d’exister. Il fallait créer des liens, des lieux où les gens partagent des choses, les jeunes avec les grands-mères, des espaces où chacune compte et doit être là. » Projet d’autant plus remarquable, car il finit quand même par concerner des femmes de toutes origines : « Le groupe est resté très ouvert à l’extérieur. Parler du quotidien de ces femmes résonne en elles, et nous permet de toucher l’universel : des antillaises sont venues, aussi bien que des françaises qui avaient des parents proches de l’OAS ! »
Et Zouina Meddour de conclure : « C’est comme ça qu’elles ont appris à découvrir l’autre, pris de l’assurance, y compris avec les enseignants avec qui elles se sentent maintenant plus sur un pied d’égalité. Ca a aussi des conséquences sur leurs enfants à l’école. Il faut surtout que les gens élaborent leurs projets en commun. Ca prend du temps. On ne sait pas en général quand le projet s’arrêtera. Mais on apprend en se disant que c’est nous qui avons la solution. »