Femmes : 30 ans de luttes oubliées dans les quartiers (épisode 2)

La troupe de "Quand nos luttes auront des elles"
Le 13-08-2014
Par Erwan Ruty

Les luttes des femmes dans les quartiers recoupent à la fois des revendications féministes, mais aussi des combats liés à l’immigration et aux quartiers. Aujourd’hui, ils sont encore d’actualité. Retour sur quelques uns de ces combats, à l’occasion de la 4ème Université des banlieues de Presse & Cité, le 23 juin 2014 à Villiers-le-Bel.

 

« Quand nos luttes auront des elles »


Trente ans après les premières étincelles des combats féminins dans les quartiers, il reste encore beaucoup à faire. Plusieurs initiatives en témoignent, sur un autre registre, à la lisière de l’éducation populaire et de la culture, qui est peut-être l’un des terrains les plus fertiles dans les quartiers aujourd’hui. Ainsi du spectacle « Quand nos luttes auront des elles », initié par Mémoires vives, une compagnie active entre les quartiers populaires de Strasbourg (aux côtés de l’association Les sons d’la rue, active depuis près de 20 ans) et de Marseille (dans un centre social du 14ème arrondissement, jusqu’à ce qu’il vire à l’extrême-droite). Spectacle à propos duquel Yan Gilg, son directeur, témoigne, enrageant : « Notre objectif est de produire et diffuser des spectacles sur les oubliés de l’histoire » (il avait ainsi précédemment réalisé Beautifull Djazaïr et A nos morts, notamment, spectacles propulsés par le souffle des cultures urbaines (aux confins de la danse, du texte hip-hop, de la musique, du théâtre…). « Les femmes sont en queue de train de ces oubliés. Ce spectacle répond à la condescendance de certaines féministes à la Caroline Fourest, qui sont assez néo-colonialistes dans leur regard sur les femmes de l’immigration, en disant d’elles qu’elles doivent prendre de la graine des féministes ».



Coup de gueule contre l’entre-soi culturel de gauche


Une vision que contestent les auteurs de cette pièce, ce qui donne lieu, dans le spectacle, à de savoureux passages comme celui autour d’images de Simone de Beauvoir commentées par les actrices jouant des femmes africaines quelques peu… décalées face aux discours de l’auteure du Deuxième sexe. « On est d’accord avec elle sur les questions de maternité, mais pas dans les discussions de salon, pas avec ces intellos qui ne brillent que sur le papier mais sont des idiots de la vie », assène Yan Gilg. « On est loin de cet entre-soi, et on reste tous seuls les deux pieds dans la m… pendant qu’eux ont évolué ensemble dans la complexité intellectuelle, et nous prennent pour des Patrick Sébastien de la culture. Quand tu sors d’un atelier d’écriture à Belzunce, tu travailles avec des gens qui ont le ventre vide... Nos travaux ne sont pas assez valorisants pour ceux qui ont des ambitions dans ce milieu. Dans cette culture à deux vitesses, il faut que les habitants restent chez eux. On vise une bourgeoisie de gauche qui s’est trompée depuis trente ans, par moralisme et par ignorance. Cette gauche qui a vécu dans les années 80 n’a rien compris aux luttes de classe et anti-coloniales. Benjamin Stora le dit : les post-soixante-huitards pensent que ce sont des luttes d’arrière-garde. Du coup, ils refusent de nous soutenir et de nous faire jouer dans leurs théâtres, on reste dans les centres sociaux, dans les kermesses. »



« Personne ne doit me dire comment je dois me libérer »


Témoin de cette colère, les textes écrits pour "Quand nos luttes auront des elles", tour à tour joués, dansés ou chantés par d’anciennes choristes de Disiz ou de Diam’s, qui offre ainsi un spectacle musical puissant, par une troupe emmenée de main de maître(sse) par Maéva Heitz dans une incroyable sarabande assaisonnée de chorégraphies breakées, de textes enfiévrés ou caustiques, de partitions musicales poétiques, et de vidéos mettant le tout dans une perspective historique. Avec de vrais questionnements sur l’universalisme de ces luttes, opposé à un certain radicalisme, incarné par exemple par Angela Davis : « Personne ne doit me dire comment je dois me libérer. Les Noirs devront se libérer eux-mêmes de leurs chaînes (…) La Femme ne doit pas avoir à remercier l’Homme de l’avoir laissée s’émanciper. On vit ensemble, mais il n’y a pas de mixité des luttes. Chacun sa lutte, chacun sa révolution. »



D’autres figures plus « universalistes » sont bien entendu évoquées, mais Yan Gilg tranche : « Si les autres veulent soutenir ces luttes, tant mieux ! Quand l’indépendantiste algérien veut se libérer, il pense à sa gueule, mais il envisage aussi cette libération pour les opprimés du monde entier. »

 

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