
Ces radios qui ont accompagné la marche

A l’époque des radios libres et de l’explosion de la parole, les stations associatives ont accompagné la Marche pour l’égalité de 1983. Sur le terrain ou dans les studios, des dizaines de « journalistes marcheurs » ont participé au succès de la manifestation.
« La Marche était dans la rue et à l’intérieur de la radio ». La formule de Mohamed Messoussa, fondateur de Radio Trait d’Union à Lyon, résume le mieux l’implication des journalistes des radios libres multicommunautaires dans la Marche pour l’Egalité. Radio Gazelle à Marseille, Radio Trait d’Union à Lyon ou encore Radio Soleil et Radio Beur à Paris, etc. : sur tout le parcours de 1000 km, les stations associatives créées par les militants issus de l’immigration ont joué un rôle déterminant dans l’avancée des marcheurs.
Dans 1983, La Marche pour l’égalité et contre le racisme [Migrance n° 41], Samia Massaoudi détaille ainsi son engagement : « Personnellement, j’avais un double engagement dans la Marche : j’étais journaliste à Radio Beur mais aussi marcheuse. » La militante rejoint la manifestation à Valence et marche pendant une semaine, tout en communiquant les informations de l’action par téléphone. Quotidiennement, Radio Beur présente alors des émissions spéciales sur la marche, faisant intervenir marcheurs et membres des comités d’organisation.
Comme elle, plusieurs reporters de la seconde génération ont alterné les casquette de journaliste et manifestant pour faire vivre la manifestation au fil de sa progression. « Nous avons suivi la marche en étant partenaire dès son début à la Cayolle [cité des quartiers sud de Marseille, Ndlr] le 15 octobre 1983 », explique Salah Bariki qui animait alors la revue de presse pour Radio Gazelle à Marseille. Le militant assure que sa radio a ainsi contribué à rompre le silence sur le sujet : « Avant la récupération de Paris, personne ne parlait de la marche, sauf les radios comme Gazelle. »
Un réseau associatif dense
Les radios informent, bien sûr, mais s’engagent aussi dans l’organisation de l’événement. Pour trouver un gymnase pour dormir ou assurer un repas chaud. Comme à Paris, où Radio Beur et Radio Soleil intègrent rapidement le collectif pour l’accueil de la marche dans la capitale. Au cours de l’été 1983, Toumi Djaïdja, président de l’association SOS Avenir Minguettes et le père Christian Delorme ont d’ailleurs présenté leur projet de marche, inspirée de Gandhi et Luther King, aux associations dans le but qu’elles prennent en charge l’organisation des étapes. Les radios ont répondu présent.
Sur tout le parcours de la manifestation, les marcheurs peuvent ainsi s’appuyer sur le réseau – mobilisé et extrêmement dense – des radios associatives, conséquence de l’explosion du nombre de stations depuis la libéralisation des ondes en novembre 1981. Mais aussi de l’autorisation accordée aux étrangers de créer et diriger leurs associations, depuis la suppression du décret Daladier en octobre 1981.
« Les radios ont accompagné la marche. Elles étaient associatives donc militantes » analyse aujourd’hui Wafa Dahman, journaliste qui réalise une thèse sur la genèse de ces radios d’un nouveau genre.
« On faisait les communiqués »
Aux côtés des radios associatives, IM’Media, agence de presse spécialisée dans l’immigration, les cultures urbaines et les mouvements sociaux, produit ses propres contenus : diffusion d’images, présentation des étapes, parution de numéros spéciaux.
Les journalistes d’IM’Media bénéficient notamment d’un important réseau dans les grandes villes. « Mogniss Abdallah [journaliste « freelance » et cofondateur d’Im’Media, ndlr] avait beaucoup travaillé sur les crimes racistes à Lyon et il connaissait donc bien le terrain, témoigne Bernard Lehembre, alors directeur de l’agence. Nous avions aussi tissé des relations avec des militants marseillais ou à Lille. Tout était déjà en place au moment de la Marche et s’est concrétisé de façon naturelle. L’information circulait déjà bien parce que nous étions déjà sur le terrain. »
Mais l’agence assure aussi le service de com’ : « Nos journalistes étaient au cœur de la marche. Nous faisions en sorte que les radios périphériques parlent de l’événement. Avec l’explosion de la FM, il y avait des radios tout au long de la marche qu’il fallait toucher.»
IM’Media popularise également la Marche en rédigeant plusieurs communiqués de presse. « Toujours au nom des marcheurs », insiste Bernard Lehembre, « nous faisions de l’encadrement et informions mais sans jamais avoir une attitude “m’as-tu vu“. Nous restions en arrière des choses, laissant la Marche aux marcheurs et à Christian Delorme. »
Les journalistes de l’agence font enfin jouer leurs relations pour sensibiliser les radios et quotidiens nationaux. « Nous avions des liens privilégiés avec certains journalistes à Paris, revient l’ancien journaliste. Nous travaillions avec eux depuis plusieurs années et il y avait un courant de sympathie. »
« Un espace virtuel »
Si elles sont activement mobilisées pendant près d’un mois et demi de marche, les radios ont aussi joué un rôle plus profond dans la diffusion des revendications, relèvent les journalistes de l’époque.
« Les radios sensibilisaient l’opinion depuis leur création en 1981 ». Nacer Kettane, fondateur de Radio Beur et directeur de sa petite sœur Beur FM estime ainsi que les radios ont préparé le terrain dans les années précédents la marche : « On construisait avec nos radios un espace virtuel, une idée de la seconde génération. Les radios ont donné un coup de fouet à tout ça. La marche l’a achevé. »