Et puis, nous passions le pantalon français : souvenirs d'immigrés

Le 19-02-2013
Par Charly Célinain

La compagnie de théâtre Wor(l)ds...cie et le collectif Quelques unes d'entre nous ont créé la pièce « Et puis, nous passions le pantalon français ». Cette pièce sur l'immigration algérienne, jouée avec des acteurs du Blanc-Mesnil non professionnels, notamment, s'appuie sur des textes du sociologue Abdelmalek Sayad, spécialiste des questions d'émigration/immigration.

 
Le collectif des femmes du Blanc-Mesnil, Quelques unes d'entre nous, semble avoir pris goût à l'expérience scénique. Après une première expérience sur les planches avec « Le bruit du monde m'est entré dans l'oreille » (2007-2009), le collectif revient sous les projecteurs avec « Et puis, nous passions le pantalon français ». Dans leur première pièce, les comédiennes apportaient leur propre témoignage. Dans ce nouvel exercice, elles devaient s'approprier les témoignages de travailleurs immigrés recueillis par le sociologue Abdelmalek Sayad. Ce dernier, lui-même algérien, reste une référence sur les questions d'émigration/immigration. Pour les membres du collectif, dont beaucoup sont d'origine algérienne, ces témoignages ont trouvé un écho particulier. Souvenirs et expériences personnelles se mêlent pour apporter aux témoignages encore plus de force. Pendant trois jours, c'est à la Cité nationale de l'histoire de l'immigration que la troupe a offert ce bout d'histoire de l'immigration.
 

La force des témoignages

La pièce s'ouvre sur un entretien entre le personnage d'Abdelmalek Sayad et une femme, que l'on suppose algérienne, livrant son témoignage, en grande partie en arabe. Entrent alors en scène une dizaine de comédiens. Le dialogue s’engage. Une des premières phrases donne le ton : « Cette France tant désirée quand on ne la connaît pas ! » Les scènes se succèdent, les pensées des immigrés algériens des années 50 à 80 sont dévoilées. De la précarité des logements collectifs parisiens, aux discussions de village en Algérie, des « fanfaronnades » de ceux qui reviennent l'été au pays, à la dure réalité de la vie française marquée par le racisme et les conditions de travail exécrables, le spectateur est emporté dans des aller-retour France-Algérie, au même titre que les immigrés. « Travailler onze mois pour vivre un mois [Un mois de vacance en Algérie, ndlr]. Ce qui signifie qu'en douze ans de présence en France, l'immigré n'aura vécu qu'un an ! » Un simple et seul mois de vacances auprès de ses proches, femme et enfants, pour un immigré sur lequel reposent tous les espoirs financiers d'une famille... voire de plusieurs. Des témoignages éloquents qui rassemblent différentes générations.
 

Immigration vue par les fils et filles d'immigrés

Ce n'est pas moins de trois générations qui sont représentées dans ce spectacle. Trois jeunes filles représentant la dernière génération, étant né et ayant grandi en France, apportent un peu de légèreté au spectacle. Elles offrent le point de vue de la perception de la « fille d'immigré ». Comment sont-elles vus en Algérie, avec un épisode savoureux sur les agents de la douane algérienne, qui retient un peu plus ces jeunes filles « qui ne savent même pas parler arabe » pensent-ils... Le spectacle incorpore également des parties dansées, exécutées avec une grande justesse par la compagnie No Mad. La grande réussite de ce spectacle est d'avoir réussi à fondre la danse avec les autres témoignages, comme nous le confirme le metteur en scène Philip Boulay : « Je voulais que le travail du chorégraphe [Mehdi  Slimani, ndlr] soit adéquat. La danse peut exprimer ce qui ne peut être dit, comme la séquence sur les événements d'octobre 1961. Le moment de la danse avec le balai, qui exprime l'auto-analyse d'Abdelmalek Sayad, est un moment clé du spectacle. On aurait pu faire tout un spectacle de cette danse ! » Que ce soit pour exprimer les cadences de travail (les 3x8), le 17 octobre 1961 ou l'auto-analyse de Sayad, les éléments de danse hip hop sont également un apport cette génération de fils d'immigrés.
 

« Un véritable positionnement politique »

Philipp Boulay était déjà le metteur en scène de « Le bruit du monde m'est entré dans l'oreille ». Que ce soit avec des comédiens expérimentés ou novices, sa méthode de travail reste la même : « Je pars de la personne, de son engagement. J'effectue un travail d'accompagnement, de présence/absence auprès des comédiens. J'essaie de respecter leur temps, leur parcours de vie, leurs difficultés. ». Même s'il avait déjà travaillé avec les membres de l'association Quelques unes d'entre nous, la tâche n'a pas été simple pour autant : « Je tiens à préciser qu'elles ont fourni un énorme travail pour assimiler Sayad. Ce spectacle est le résultat de 18 mois de travail. » Une opération loin d'être simple, sur un thème qui l'est encore moins : « Faire un tel spectacle a un impact aujourd'hui. C'est la proposition que, peut-être, dans ce pays il est temps de se mettre au travail pour valoriser la pluralité des identités. Nous sommes en retard dans ce domaine. C'est un sujet extrêmement peu abordé dans le théâtre. C'est un véritable positionnement politique. »
 
Ce spectacle devrait être joué dans des établissements scolaires ; des cycles de lectures seront également organisés. En revanche, de prochaines représentations sur les planches sont beaucoup plus hypothétiques. D'une part à cause du sujet, et d'autre part à cause de la taille de la troupe (25 acteurs rémunérés). Philip Boulay, metteur en scène, mais également producteur, évoque malgré tout des contacts : « Nous avons des attentions, des personnes s'intéressent à la pièce. Maintenant il faut que ces attentions se transforment en propositions de travail... ». 
 
 
 
 

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