Parcours d’immigrés, témoignages recueillis par une de leur héritière.

Le 04-02-2013
Par Erwan Ruty

Nadia Hathroubi-Safsaf est l’auteure d’un livre intitulé « Immigrations plurielles, témoignages singuliers ». Notre ancienne collaboratrice y retrace le parcours d’une dizaine d’immigrés venant de pays européens ou africains. Un article copinage ? Oui. Mais copinage utile : ce livre est le témoin d’interrogations et de ressentis présents chez beaucoup de français. Et sur lesquels nous revenons. 

Avec les débats lancés par l’UMP l’année dernière, on en a pris plein la figure. Alors j’ai fini par me dire : comment je peux être française, dans une société qui parle comme ça de mes parents ?
Ce livre a été écrit dans une actualité particulière, au moment des élections de 2012…
 
Il est né suite à une discussion à la rédaction de Presse & Cité avec une collègue. Je disais alors que j’en avais assez du traitement médiatique de l’immigration. On en est venues à parler de nos parents. Ils ont toujours eu la « valeur travail » à cœur, de bien faire les choses. Mon père allait travailler même quand il était malade, il disait toujours qu’il fallait respecter le travail qui était fait au sein d’une équipe… Ma mère aussi a beaucoup travaillé, elle se levait très tôt. J’ai fini par ressentir une certaine « hogra » (un sentiment d'humiliation), en voyant la manière dont on parlait d’eux, et ce, depuis toute petite. Je le constatais dans beaucoup d’administrations, où nos parents étaient souvent rabaissés, où les agents employaient souvent un langage administratif très savant, exprès. J’avais ça en moi depuis longtemps, mais je le dominais. Avec les débats lancés par l’UMP l’année dernière, on en a pris plein la figure. Et puis rien n’en est sorti… Alors j’ai fini par me dire : comment je peux être française, dans une société qui parle comme ça de mes parents ? Alors que plus jeune, habitant Paris, je ne me sentais pas différente de mes camarades. Ou alors seulement une différence sociale. C’est à la fac que j’ai pour la première fois été vue comme « rebeu », renvoyée à mes origines. Je voulais tourner le dos à ça.
 
On a beaucoup parlé de ce que la France représentait pour eux. Il y a un vrai sentiment de reconnaissance
Quel est le fil conducteur de ces témoignages d’immigration ?
 
Ce sont tous des gens qui aiment la France, même s’ils peuvent la critiquer. On a beaucoup parlé de ce que la France représentait pour eux. Il y a un vrai sentiment de reconnaissance. Pas un ne regrette ce qu’il a vécu, sauf une peut-être [Mona], mais je pense que c’est lié à des évènements qui ne sont pas liés à son immigration. Certains ont fui la guerre, d’autres une situation économique désastreuse, d’autres sont venus faire des études... Je voulais aussi, en fin de livre, avoir le regard que la seconde génération porte sur la première, sur les parents… Pas un d’entre nous n’accepterait le tiers de ce qu’ils ont vécu ! Ils ont cependant tous essayé de transmettre des choses positives à leurs enfants sur la France.
 
quand les enfants naissent, ils voient les choses autrement : ils préfèrent avoir la même nationalité qu’eux.
L’introduction et la conclusion du livre rappellent certaines lois et prises de positions politiques qui, en France, se sont attaquées à ces immigrés ; mais cela ne ressort pas dans les témoignages…
 
Le racisme vécu n’est pas un sujet que les gens abordent frontalement. Ils ne citent pas d’exemples concrets. La France est souvent citée comme le pays des Droits de l’homme, même si certains témoins, après une vie de labeur, peuvent être un peu aigris. Mais ils ont pu construire quelque chose, une maison souvent [Maria], dans leur pays d’origine ; ils ont pourtant presque tous demandé la nationalité française. Même si certains [Lakhdar] ont un temps pensé que c’était trahir leur pays d’origine. Après, quand les enfants naissent, ils voient les choses autrement : ils préfèrent avoir la même nationalité qu’eux.
 
Je voulais faire un livre humain, pédagogique, qui s’adresse à ceux qui veulent en savoir plus sur l’immigration, les jeunes des quartiers en particulier.
Ce livre est très personnel…
 
Dans certains récits qui m’étaient faits, j’avais la gorge nouée… Quand ils racontaient les arnaques dont ils avaient pu être victimes, le fait que l’une n’avait pas vu sa mère pendant vingt ans, ou encore plus l’expérience des camps de travail [Anna]… Je voulais faire un livre humain, pédagogique, qui s’adresse à ceux qui veulent en savoir plus sur l’immigration, les jeunes des quartiers en particulier.
 
 
Propos recueillis par Erwan Ruty
 
 
Immigrations plurielles, témoignages singuliers, de Nadia Hathroubi-Safsaf, Eds. Mise au point
 

 
 

 

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