Les Bleus, ou l'histoire de l'immigration en France à travers le ballon rond

Le 30-07-2012
Par Dounia Ben Mohamed

L'équipe nationale de football a, tout au long du XXème siècle, reproduit les interrogations de la société française face aux populations issues des migrations. Pascal Blanchard*, historien spécialiste du fait colonial, nous en dit plus. 

 
Depuis plusieurs années déjà, avec vos équipes de l’Achac et des universitaires dont Yvan Gastaut, vous racontez un siècle de présence migratoire et ultramarine dans le football français. Que nous apprend le football sur l'histoire de l'immigration en France ?
Depuis 2008, le Groupe de recherche Achac a entamé un programme Immigration, football et récit dans le siècle pour raconter ce siècle de présence migratoire et ultramarine en « bleus ». Ce programme a permis de mener à bien les trois expositions sur le thème des joueurs « issus de l’immigration et des outres-mers » en équipe de France depuis un siècle. Il est important de mettre en perspective les flux migratoires qui ont participé au destin de la société française et de transmettre ces récits au plus grand nombre de personnes, notamment les jeunes. L’histoire du football français ne peut s’écrire sans tenir compte de l’histoire des immigrations en France. Plus d’un tiers des internationaux sont issus des immigrations : le football français est un reflet symbolique de l’histoire de la colonisation, de nos outremers, de l’immigration et des relations toujours vivantes entre la France, les pays du Maghreb, des Antilles, d’Afrique et les autres pays d’Europe… et même d’Amérique du sud, comme le montrent nos expositions. 
 
Vous expliquez dans vos travaux que les différentes vagues migratoires qui se sont succédées  au sein de l‘Équipe de France de football, des Européens aux Ultramarins, pour finir avec les joueurs d’Afrique subsahariennes ou du Maghreb (y compris les pieds noirs), reflètent l'évolution de l‘histoire de l’immigration en France ?
Les joueurs d’origine étrangère (ou ultramarins) en équipe de France ont écrit à leur manière l’histoire des immigrations en France. Si l’on remonte le temps, entre 1951 et 1962, cette génération est celle de la guerre d’Algérie, du recrutement récurrent des joueurs maghrébins, de l’histoire de l’équipe du FLN et des indépendances. La génération brillante de 1958 avec Zitouni, Brahimi, Mekhloufi est aussi celle de la « génération perdue » avec la création de l’équipe du FLN. Véritable instrument diplomatique du FLN à travers le monde, l’équipe va disputer une centaine de matchs et imposer sur la scène internationale la « révolution algérienne ». Si l’on s’attache aux années 30, c’est toute la cartographie de l’immigration qui se retrouve en « bleu ». Ensuite, de 1931 à 2011, l’histoire des joueurs « noirs » en équipe nationale, c’est l’histoire de la colonisation et des outremers qui s’illustre devant nos yeux. L’équipe de France est un fabuleux creuset des crises, des réussites, des tensions, des bonheurs, des identités et des rejets de la société française… 
 
Dans cette histoire, l'épisode de 98 et la victoire des Bleus au mondial tient une place importante. Dix ans après, politiques et intellectuels vont tenir des propos choquants sur la présence d’Afro-Antillais dans l'équipe de France. Signe de l'effondrement du mythe de la France Black-Blanc-Beur ? 
Le football français a vécu dans les années 1990 une décennie exceptionnelle : une première Coupe du monde en 1998 et l’Euro deux ans plus tard. C’est une génération dorée qui va donner à la France entière l’image d’un métissage capable de grandes victoires. En 98, les Français chantent leur fierté de supporter une équipe métissée. Le slogan « Black Blanc Beur » est alors porteur d’un message fort d’intégration pour la France, mais aussi d’une utopie qui voile les échecs des politiques publiques dans les quartiers et dans les outremers. D’ailleurs, ce slogan est très vite remis en question, dès les premiers échecs de l’équipe de France (2002, année ou Le Pen est au second tour des Présidentielles) et ravive la crise permanente de la société française avec sa diversité. 98, c’est à la fois un mythe (l’intégration) et une réalité (une France métissée), c’est de facto une date-charnière pour l’historien et c’est aussi un moment fort de notre histoire collective…
 
Lors du mondial en Afrique du sud, les grévistes de l'équipe de France ont été renvoyés à leur origine, avec des médias qui les ont qualifiés de “traîtres à la nation”. Votre sentiment…
La question du racisme dans le football est un sujet récurrent depuis l’intégration des premiers joueurs des colonies ou d’origine étrangère. Le racisme anti-arabe des années 1970, la crise des banlieues dans les années 1980 et les questions autour de l’intégration dans les années 1990 ont, à chaque fois, trouvé un écho visibles dans le football et sur les terrains. Le racisme ne touche pas que la France : dès 1921, le président du Brésil, Epitacio Pessoa, décidait par décret qu’il était interdit de sélectionner des joueurs à la « peau brune ». La FIFA adopte en 2000 une première déclaration contre le racisme et met progressivement en place de nouvelles actions. Cela n’exclut pas les agressions racistes de plus en plus fréquentes. Dans le même temps, l’opinion est sensible aux comportements des joueurs en Bleus, ce qui est normal, et au regard de l’argent qu’ils gagnent on attend d’eux beaucoup… et certain « gamins » ne sont pas à la hauteur de l’enjeu symbolique. Au final, on pardonne moins à un Nasri qu’à un Ménez… c’est la loi du genre, l’immigré même champion doit être exemplaire… 
 
 
Propos recueillis par Dounia Ben Mohamed
 
 
* Historien, chercheur-associé au Laboratoire Communication et Politique (CNRS), directeur du Groupe de recherche Achac, spécialiste du « fait colonial » et des enjeux de « diversité », Pascal Blanchard a codirigé La France noire (La Découverte), la série de trois documentaires pour France 5 Noirs de France, et L’invention du sauvage. Depuis 2008, il s’attache aux présences migratoires en équipe de France de football, à travers plusieurs projets, notamment un film avec Morad Aït-Habbouche : Des Noirs en couleurs, pour Canal + (sortie en DVD à l’occasion de la coupe du monde en Afrique du Sud en 2010 chez Universal) et surtout trois expositions qui peuvent se regrouper, comme au stade Charlety en juin 2010, sur les joueurs afro-antillais, les joueurs maghrébins et les joueurs européens en équipe nationale. Trois expositions que l’on peut découvrir sur le site www.achac.com
 

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