
Projection du Film "Noirs de France", épisode 2: Des jeunes de Nanterre entre Histoire et mémoire.

Presse&Cité organisait une projection-débat autour du documentaire Noirs de France, de Pascal Blanchard et Juan Gélas, en février dernier. Réunis à l'association Zy'va (de Nanterre), les jeunes présents ont plongé dans cette Histoire à la fois proche et mal connue.
Une vingtaine de jeunes -filles et garçons- de la cité du Petit Nanterre. Nez dans leur cahier, stylo à la main, tous ont leurs habitudes à Zy'Va, association bien connue à Nanterre. Futurs bacheliers, collégiens silencieux, l'ambiance est studieuse. Une pause s'impose. "Je vous en avais parlé. On va projeter le second volet du documentaire Noirs de France. Il a été réalisé par un spécialiste qui connaît l'immigration sur le bout des doigts", lance Mamadou, animateur et habitant du quartier. Regards curieux, perplexes même. Les réactions ne se font pas attendre. Et Mamadou, pour empêcher la fuite de ces jeunes cerveaux, leur conseille de rester. "C'est important de vous intéresser à ces questions !" "J'ai trop de devoirs…" s'excuse un jeune, cahiers et trousse à la main. "Ouais, mais ça va pas durer 2 heures… C'est dommage", rétorque Mamadou, comme une ultime bouteille lancée à la mer. Rien n'y fait, la salle se vide de moitié. La plupart des présents sont issus de l'immigration maghrébine et antillaise. Mais le sujet ne les botte pas plus que cela… Tant pis, Mamadou installe le matériel de vidéoprojection. Deux jeunes "commis" l'aident spontanément. Ici, c'est un peu comme à la maison. Les bavardages s'estompent alors.
S'approprier une histoire méconnue...
La séance commence. Le silence règne. Il faut dire que les premières images sont fortes. "Opération Dragon. On est le 15 août 1944."Noirs et Maghrébins débarquent à Toulon. Les jeunes spectateurs s'engouffrent dans ces pages d'Histoire. D'emblée, un fait marque. Les populations « indigènes », utilisées comme soldats lors de batailles décisives, ne défileront pas à Paris lors de la libération. "Blanchiment de la libération." Le documentaire égrène alors d'autres dates de la présence noire en France. Visiblement méconnues. On y apprend qu'en 1945, l'Assemblée nationale compte 60 parlementaires issus des colonies, qu'en 1956 la Sorbonne accueille le premier congrès des écrivains noirs ou qu'en 1959, des émeutes éclatent aux Antilles. Chômage et misère obligent. L'éternellement retour du même semblent dire les yeux des plus âgés. Le film touche à sa fin. Et les visages semblent le regretter.
« Je ne savais pas… »
Car malgré tout, le documentaire a éveillé un intérêt palpable. Walid, en Terminale, prend la parole. "Mes parents m'ont parlé des colonies sous le prisme de la guerre d'Algérie. Les tirailleurs sénégalais aussi." Le jeune homme s'étonne d'un point. " Je ne savais pas que certains étaient volontaires pour aller se battre…" La remarque fait réagir Christelle, 29 ans, bénévole de l'association. "Mon grand-père est arrivé des Antilles à 16 ans pour se battre. Il ne savait même pourquoi il était envoyé en métropole…" Le non-dit persistera d'ailleurs. "Petite, j'ignorais que les Antillais avaient servi les forces armées." Cindy, née en Guadeloupe, le confirme. "J'y ai fait une partie de ma scolarité. Mes grands-parents ont vécu la guerre. Personne n'en parle vraiment." Second volet d'une trilogie, qui court jusqu'à la décennie 70. Parmi les faits marquants, la mort de 5 travailleurs africains en 1970, victimes de l'incendie de leur logement insalubre. Chair à canon, main d'oeuvre puis victimes ?
Pas d’élites noires ?
Pour Walid, "les choses n'ont pas vraiment changé. Aujourd'hui, il n'y a pas vraiment d"élites noires, hormis dans le show-biz ou le foot…" Contrairement à la fin des années cinquante où 35 députés ultra-marins entraient encore sous les ors du Palais Bourbon. "Les anciens ont plus de mérite", ose Cindy. "Ils avaient beaucoup de problèmes mais ils étaient plus combatifs…", suggère t-elle, les bras repliés, signe de timidité. Pas faux. Mais pour Mamadou, qui a enlevé la casquette d'animateur, "il y avait des raisons fortes. Décolonisation, seconde guerre mondiale…" Une époque où la passivité n'avait pas sa place doit-on comprendre. Ayman, à peine 12 ans, a un avis lui aussi. "Ca me rappelle les années noires de l'Algérie", s'exclame-t-il, la voix encore aigüe. "Ca me rappelle ce que mes parents et grands-parents ont vécu. Quand je vais en Algérie, pour les vacances, je trouve que ça se ressemble", poursuit-il. La loi du plus fort imposée au plus faible, devine-t-on en cherchant à comprendre son parallèle.
La difficile transmission de la mémoire
Une analyse teintée d'innocence qui renvoie aussi la transmission de l'Histoire. Présent à Zy'va, cet après-midi là, Patrick, 70 ans, bénévole, a suivi le débat avec attention. D'abord silencieux, il se fait plus prolixe. "Ce genre de films, il en faudrait davantage mais la question est de savoir qu'est ce que l'on en fait." Walid, le propos mature, en est convaincu. "Je pense qu'il faut en parler pour se rappeler", lâche-t-il, posé. Un constat auquel souscrit Mamadou. "Il s'agit pas de produire des indignés mais il faut éduquer les jeunes à la citoyenneté et la question de la mémoire en fait partie." Justement. "Le problème, c'est que souvent il y un tabou sur ce sujet, mais je pense que c'est à nous de militer plus", précise Cindy.Patrick n'y est pas opposé. "Sauf que les manuels scolaires éclipsent tout un pan de l'Histoire." Et dans les familles, souvent le travail de mémoire ne se fait pas. Comme si la transmission était taboue, voire inutile.
A voir comment le film a captivé la salle, les jeunes générations sont peut-être prêtes pour leur devoir de mémoire. Aux anciens donc de leur raconter leur propre histoire…
Nadia Henni-Moulaï
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