Nouvelle-Calédonie : pas de réconciliation sans vérité

Le 06-01-2012
Par xadmin

Si l’Ordre et la morale, le dernier film de Mathieu Kassovitz, a créé la polémique en donnant une version contestée des évènements d’Ouvéa d’avril-mai 1988, d’autres artistes, des cinéastes, des écrivains, des plasticiens, ont, avant lui, évoqué le thème. Un travail de mémoire indispensable à toute entreprise de réconciliation.

Jeudi 22 décembre, dans le cadre de l’année de l’Outre mer, la Cinémathèque française consacrait une après-midi à la Nouvelle-Calédonie. Deux documentaires y étaient projetés : Retour sur Ouvéa, de Mehdi Lallaoui et Tjibaou, le pardon de Gilles Dagneau. Deux films qui reviennent sur les évènements tragiques d’avril-mai 1988 au cours desquels 4 gendarmes ont été tués, 23 autres pris en otages par des indépendantistes kanaks, parmi lesquels 15 tomberont au cours de l’assaut organisé pour libérer les otages. Un épisode qui va profondément marquer la mémoire kanake.

Ressentiments au sein du mouvement indépendantiste

Celle de deux clans notamment, le clan du leader indépendantiste du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) Jean-Marie Tjibaou, et celui du Comité pour la lutte d’Ouvéa, Djubelly Wéa. Le second ayant assassiné le premier, le 4 mai 1989, lui reprochant de n’avoir rien fait pour empêcher « le massacre » des indépendantistes de la grotte de Gossanah, et même pis, d’avoir signé les accords de Matignon du 26 juin 1988, trahissant le rêve indépendantiste kanak aux yeux de Wéa. Le mouvement indépendantiste kanak se retrouve déchiré, et la Nouvelle-Calédonie menacée par la guerre civile, tant les ressentiments sont grands entre chacune des communautés.

La force de la coutume

Et pourtant,  le 30 juin 2004, une cérémonie de réconciliation est organisée entre les descendants des deux clans. Grâce à la force de la coutume à laquelle les Kanaks restent profondément liés. « La réconciliation a été faite parce que la vérité a été dite », confiera Joël Tjibaou dans le film de Gilles Dagneau. Quelque temps plus tôt, en 1998, déjà, les familles des gendarmes et des preneurs d’otage assassinés à Gossanah s’étaient retrouvées, partageant la même douleur. Les ressentiments de chacun ont été dépassés parce ils ont été dits et ainsi libérés.

Artistes supports de l’histoire

Dans ce pays du « non-dit », la vérité est une condition sine qua non à toute opération de réconciliation, ainsi que l’explique Alain Janet, néo-calédonien, ancien professeur d’économie, membre de l’association « L’Artothèque d’Ouvéa ». Il est à l’origine de l’exposition «  Les chemins de la déportation » qui se tenait jusqu’au 30 décembre au musée du Montparnasse à Paris. « En 2014, les Calédoniens devront se prononcer lors du référendum sur l’autodétermination. On nous parle de destin commun, pour moi, c’est un peu comme un couple, avant de s’unir chacun doit connaître le passé de l’autre. L’idée c’est cela, on n’oublie pas, pour avancer. Et les artistes étant les supports de l’histoire, nous avons demandé à une trentaine d’artistes calédoniens de mettre en avant l’histoire de leur famille, les douloureux évènements vécus par leur clan, dans une œuvre originale... » 

Sans haine ni revendication

De la grande révolte de 1878, au cours de laquelle la moitié de la population locale a été massacrée (25 000 morts) à la tragédie de la grotte de Gossanah de 1988, en passant par les « évènements » de 1984-88, l’histoire de la Nouvelle-Calédonie est jalonnée d’épisodes dramatiques, que les « vieux » ont transmis aux plus jeunes. « Sans haine ni revendication. Il s’agit juste de ne pas oublier les souffrances du passé pour mieux avancer. » Alain Janet était à Ouvéa au moment de la sortie du film « L’Ordre et la moral ». Un film qui serait passé inaperçu si « on » n’avait pas cherché à l’interdire. Finalement, il sera diffusé dans des centres culturels. « Le film correspond à ce que l’on sait de cette histoire. Une histoire récente, qui s’est passée il y a une vingtaine d’année, d’où la difficulté à en parler. Quand on discute avec les vieux, c’est quelque chose qui les a marqués. Même s’il y a eu ce travail de réconciliation avec les gendarmes, et entre les Tjibaou et les Wéa, on ne comprend toujours pas pourquoi des jeunes, « les porteurs de thé », ont été tués d’une balle dans la terre, pourquoi les gendarmes ont été tués au départ, les morts pendant l’assaut, le rôle des leaders du FLNKS… »

Libérer la parole

Des non-dits qui continuent de peser dans les relations entre Kanaks, entre les Kanaks et les autres communautés, vis-à-vis de la métropole. Des questions auxquelles le film de Kassovitz ne répond pas. « Ce film n’a rien apporté de particulier si ce n’est d’informer le grand public qui ne connaissait pas forcément cette histoire. Alors oui, le travail des cinéastes, et des artistes d’une manière générale, peut permettre de libérer la parole, mais pour ce type de fait, très récent, où les blessures restent ouvertes, c’est plus difficile. En général, chez nous, on préfère éviter de parler des sujets qui blessent. » Une difficulté mise en évidence dans le film de Gilles Dagneau, écrit par Walles Kotra (journaliste néo-calédonien et directeur délégué à France Ô), à travers l’exemple des familles Tjibaou et Wea, qui ont pris le difficile chemin de la réconciliation. Une thématique qui connaît une actualité criante, du conflit israélo-palestinien, à la reconstruction du Rwanda ou de la Côte d’Ivoire. « La question qui se pose, conclu Jean Janet, est comment apprendre à vivre ensemble en dépassant les souffrances du passé. »

Dounia Ben Mohamed

 

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