Projection du film « Noirs de France », épisode 3 : Un foyer africain se regarde dans le documentaire

Le 04-05-2012
Par xadmin

La troisième partie du documentaire « Noirs de France » revient sur la création des foyers de travailleurs africains en France, les premières revendications de leurs résidents, l'évolution de leur condition de vie. L'occasion pour Presse & Cité d'organiser une projection au sein d'un des foyers les plus anciens d'Île-de-France, le foyer Bara à Montreuil. 
 

La prière du vendredi vient de s'achever. La cour de l'établissement grouille encore de monde. Des hommes en tenues traditionnelles, d'autres en costume trois pièces, d'autres encore en jean-basket. Des hommes exclusivement. Toutes les générations s'y retrouvent. Des premiers arrivés dans les années 60, aux derniers, les mois passés. Tous les dialectes ouest-africain sont parlés, même si, ici, on est majoritairement originaire du Mali. Nous sommes dans l'un de ces foyer dont parle le documentaire de l'historien Pascal Blanchard et du réalisateur Juan Gelas. 

Ambiance foyer

Direction le réfectoire : c’est là que trône le poste de télé, tout beau, tou neuf. Une salle de type cantine scolaire, lieu de vie par excellence du foyer. On y mange, on s'y retrouve pour parler du quotidien, régler les problèmes en cours, donner des nouvelles du pays. Chaque soir, on regarde ensemble un match de foot, les journaux télévisés français ou maliens ou des films d'action... Cette fois ce sera un documentaire. Une cinquantaine de personnes, entassées tout près de l'écran, attendent, intrigués, le début du film. Ca n'arrive pas. On s'impatiente. "Il faut appeller Moussa". Le « Mac Gyver » du foyer. S'il n'en a pas les diplômes, c'est le pro de la TV. Le film démarre enfin. Mais en noir et blanc. "Normal, c'est un film sur les noirs!" plaisante l'un des jeunes de l'assistance. La couleur n'arrivera jamais, malgré les nombreuses tentatives de Moussa qui est finalement invité à s'assoir, le public est impatient de voir ce film que les représentants du foyer tiennent tant à montrer, au point d'interrompre le match de foot qu'ils étaient en train de suivre. 

"Des ghettos sociaux" ?

Les premières images captivent la salle. Malgré les vas-et-vient incéssants entre cette cuisine et les chambres, et malgré le brouhaha ambiant, fait d'un mélange de discussions, de bruits de fourchettes raclant les assiettes, et de grabuge qui s'échappant de la cuisine. Dans le documentaire, on voit l'arrivée des premiers travailleurs africains dans ces fameux foyers Sonacotra, les premières revendications des résidents, les grèves. Un intervenant du film qualifie ces foyers "de ghettos sociaux" créés pour que les travailleurs africains ne se mêlent pas à la population française. Un avis que ne partagent pas les résidents. "Avant, c'était un peu vrai... Pour les premiers arrivés. Mais plus aujourd'hui...

Un regard décalé

Une image, assez violente, amuse tout particulièrement les résidents : un pauvre musicien noir est agressé par de jeunes skinheads devant la terrasse d'une brasserie en plein Paris… Le documentaire retrace également l'histoire contemporaine des Noirs en France à travers leur présence dans le cinéma français, le football, ou encore la musique. Avec les témoignages de personnalités comme Lilian Thuram, Jacob Desvarieux (du groupe Kassav), Rokhaya Diallo (chroniqueuse TV et fondatrice des Indivisibles) ou Joey Star... Des visages qui, pour la plupart, ne parlent pas à l'auditoire. Les footballeurs, en revanche, qui passent sur des images d'archives intégrées au documentaire, eux, sont reconnus, et cités, y compris les plus anciens. 

"Avant, c'était plus pire pour nous"

Alors que la diffusion avance, la vie suit son train au foyer. Ceux qui partent travailler croisent ceux qui rentrent du travail. Parmi eux, certains passent devant l'écran, s'arrêtent un moment, puis repartent. L'un d'eux, la cinquantaine, soupire. "Ca ne changera jamais. L'homme est comme ça. C'est dans sa nature." Avant de nuancer tout de même : "Mais c'est vrai, avant, c'était plus pire pour nous. ça a changé un peu. un peu..." Puis il reprend son chemin. Une dizaine suivront le film jusqu'au bout. Parmi ceux qui ont quitté la salle, certains ont déjà vu le documentaire quand il a été diffusé sur France 5. "Ce soir là, on était nombreux à le regarder à la télé."

"Dans les foyers, les gens vivent bien quand même." 

A la fin du documentaire, un échange est engagé avec le petit groupe resté. Force est de constater que peu se retrouvent dans l'image dépeinte par les réalisateurs et les intervenants du film sur l'évolution de la situation des Noirs en France. "C'était intéressant, il y a des choses, c'est vrai, mais pas tout, juge un des plus jeunes du groupe. Dans les foyers, les gens vivent bien quand même." Moussa, le Mac Gyver du foyer, à l'inverse, s'y retrouve. "C'est la réalité !" Âgé de 43 ans, Moussa est arrivé au foyer en 1992. Pour lui, il y a une exacerbation du racisme en France ces dernières années. Et les coupables sont tous trouvés.  

"Ce foyer est le premier d'Île-de-France. Il a été créé en 1968", rappelle Barko Traoré, responsable des affaires extérieures du foyer. Membre du foyer de 1989 à 2001, il y reste très attaché, s'il l'a quitté pour se marier et fonder une famille. Aussi, refuse-t-il le qualificatif de "ghetto social". " Je pense que le propos est exagéré, indique-t-il. Il y a eu une évolution, on ne peut le nier." Bien au contraire, explique-t-il, ces dernières années ont vu l'ouverture des foyers sur la cité. En ce qui concerne le foyer de Montreuil du moins. "On participe même au conseil de quartier qui nous défend dans nos revendications. Le foyer serait plus dégradé que ça sans eux. Pour eux, on fait partie à part entière du quartier."
 

Dounia Ben Mohamed 

 

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