
Présentation de poids à la CNHI

Les salariés en grève de la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration ont accepté d’accueillir le public le 2 décembre pour la présentation du coffret « Un siècle d’immigration des suds en France » par le groupe de recherche ACHAC (Association pour la Connaissance de l’Afrique Contemporaine). Plus que ses 16 kilos, c’est le contenu des 8 ouvrages qu’il contient qui pèse lourd en plein débat sur l’identité nationale.
Avant de visiter l’exposition Générations : un siècle d'histoire culturelle des Maghrébins en France de l’association Génériques, les invités ont pu être interpellés par la banderole des grévistes sur les grilles du musée : Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration en grève. Choisie ou subie ? Un clin d’œil aux débats houleux de ses derniers temps en guise d’entrée en matière.
Dans l’auditorium, qui allait vite se remplir, les panneaux des trois expositions régionales itinérantes (Rhône Alpes, PACA et Ile –de-France) réalisées par l’ACHAC. Elles sont destinées aux différents lieux publics (écoles, mairies, médiathèques) pour mieux faire connaître l’histoire de l’immigration dans les différentes régions de France.
En introduction, le commissaire à la diversité et à l'égalité des chances Yazid Sabeg, invité surprise de marque, a rappelé qu’il est « un enfant migrant, né en Algérie [pour qui] l’exposition rappelle des souvenirs ». « L’histoire du peuplement de la France, de sa diversité, n’est pas enseignée suffisamment a-t-il estimé. Les enfants ne découvrent la diversité de l’Europe qu’en seconde. Il faudrait que ça démarre le plus tôt possible dès la maternelle ».
A la tribune, des chercheurs, directeurs de publication de certains des 8 ouvrages du coffret, des représentants de l’Acsé (Agence pour la cohésion sociale et l’égalité) et Pascal Blanchard, historien de référence du fait colonial et coordinateur du projet. Après de longs remerciements – pendant près de 10 ans plus de 150 chercheurs et 20 documentalistes ont participé au projet- il a également insisté sur les aspects vulgarisateur et esthétique des ouvrages. « L’histoire de l’immigration avait besoin d’une reconnaissance au-delà des scientifiques » a-t-il précisé.
Pour Emmanuel Bertin, Directeur régional Alsace de l’Acsé, un des nombreux partenaires du projet, ce dernier a contribué à « faire bouger les lignes des politiques, à mettre au centre ce qui a longtemps été laissé en périphérie ». Dans le même sens, pour le sociologue Ahmed Boubeker « On a souvent l’impression que les immigrations des suds sont récentes. Quand on regarde les archives on se rend compte qu’elles existent en fait depuis très longtemps. En Lorraine par exemple, souvent les gens ne connaissent que l’immigration blanche italienne mais pas l’immigration maghrébine».
Driss El Yazami, délégué général de l'association Génériques et directeur de publication du tome Paris Arabe du coffret, a rappelé à ce sujet que les acteurs de la marche des beurs « ont été positionnés comme des acteurs nés de nulle part ».
L’historien Nicolas Bancel est revenu sur ce qui fait la particularité des travaux de recherche qui ont alimenté les 8 ouvrages : « après avoir travaillé sur la colonisation, nous avons considéré qu’il y avait une immigration coloniale qui est le produit, l’effet d’une situation impériale, c’est ce qui rend si particulières ces immigrations des suds. (…) Le travail sur les images a montré que les représentations de ces immigrations ont un lien évident avec le colonial.»
La présentation s’est achevée par un débat avec la salle, au cours duquel les interventions furent souvent passionnées et inspirées du vécu. Ainsi Delphine, présente dans l’auditoire, a tenu à remercier l’équipe pour l’ouvrage le Paris-Noir. «Avant, comme il n’y avait qu’une seule page sur l’histoire de la décolonisation dans les manuels scolaires, je me suis retrouvée à suivre des cours jugés comme extrémistes pour la connaître » a-t-elle expliqué. Un autre auditeur a demandé si le groupe de recherche prévoyait un livre sur l’émigration française, « un contrepoids qui serait intéressant » d’après lui. « Voilà un sujet pour les 8 prochains ouvrages » s’est amusé le journaliste Ahmed El Keiy, l'animateur de la table ronde.
Les débats n’auraient pas pu se conclure sans que les chercheurs soient questionnés sur leur position concernant le débat sur l’identité nationale lancé par Eric besson. L’historienne Laure Teulières s’est exprimée en sa qualité de chercheuse en considérant qu’au vu du contexte politique, « les conditions de scientificité d’un tel débat ne sont pas réunies». Dans le même, sens Nicolas Bancel est revenu sur le contexte politique et les enjeux électoraux du débat qui s’adresse selon lui « à la droite et la droite de la droite ». Enfin il a expliqué que les références bibliographiques sur le sujet, présentes sur le site du Ministère de l’immigration et de l’identité nationale, allaient dans la direction, dangereuse selon lui « de l’essentialisation de l’identité ». A méditer…
P.S : Un partenariat est prévu entre l’ACHAC, l’agence de presse Ressources Urbaines et Presse et Cité pour diffuser le coffret et les expositions itinérantes en question dans des maisons de la jeunesse, médiathèques, associations, implantées dans les quartiers populaires.
YT