
Mémoire d’avant les rénovations urbaines : qui croire ?

Olga Gambis a passé plusieurs années à filmer quasi bénévolement ce que les habitants de plusieurs quartiers des Ulis, ville nouvelle née de rien dans les années 70, pensaient de cette rénovation dont ils sont les sujets (« Ma ville d’hier à demain »). Des témoignages qui servaient de base à une rencontre sur la Mémoire urbaine, dans le cadre de l’opération « Printemps de la mémoire » le 23 avril dernier.
Les projets de films et autres documents liés aux projets de rénovation / démolition / résidentialisation de l’ANRU se comptent par centaines, chaque programme bénéficiant d’un budget « communication » destiné à l’accompagnement de ces opérations souvent douloureuses pour les habitants. Certains diront qu’il s’agit de faire passer la pilule, ce qui est parfois le cas, de toute évidence : afin de ne pas déraciner totalement des gens souvent eux-même déjà déracinés par l’exil, l’immigration, on va figer leur mémoire sur des documents visuels. L’un des intervenants de cette journée dédiée à la mémoire, Farid Taalba, militant de toutes les causes liées aux habitants des quartiers populaires, de la Marche pour l’égalité au Forum Social des Quartiers Populaires en passant par la lutte contre la double peine, et le Mouvement de l’Immigration et des Banlieues, a d’ailleurs témoigné de l’histoire de cette France dans un recueil de nouvelles : « Les contes de Mimoun Guélaille Veste de Paille » (édité par la maison d’édition du du FSQP, « L’écho des cités »).
Des projets qui suscitent un mélange de fatalisme et de défiance, y compris chez les intervenants présents et dans le public, à l’instar de ce commentaire généreux, sur les projets de résidentialisation sensés répondre à un besoin de sécurité : « Qui décide de ce qu’est l’intérêt général, et que ces projets répondent à cet intérêt ? Tout projet de résidentialisation propose de fermer les immeubles avec trois codes. Mais franchement, la meilleure sécurité, c’est de s’ouvrir aux autres ! »
Mais au-delà des objectifs parfois douteux des financeurs de ces projets de communication, la parole de ceux qui ont vécu cette histoire, la question se pose de l’usage qui peut être fait des documents une fois qu’ils ont vu le jour, usage au service des populations en particulier. Et là le discours des organisateurs de la rencontre est clair : « Comment créer un rapport de force, y compris avec l’Etat, qui détruit lui-même les conditions de préservation de cette mémoire via la Réforme générale des politiques publiques et la mise en concurrence systématique des associations pour le développement de cette mémoire », clame Jessy Cormont. Dans ce contexte de déracinement, le scepticisme de certains habitants des quartiers concernés va très loin.
Ainsi, tel jeune intervenant du film d’Olga Gambis, né aux Ulis mais qui se sent plus Algérien que Français, d’assurer, à propos de telle information rapportée par un voisin : « c’est la vérité, rien à voir avec ce qu’on lit dans les livres d’histoire ». A force de fragilisation, beaucoup finissent ainsi par douter de toute parole officielle, et ne plus croire qu’en une parole de proximité.
Reste que l’objectif de ce genre d’événement, plutôt confidentiel, se résume à ces questions posées par Mohammed Ouaddane : « Comment faire profiter au plus grand nombre toutes ces archives, dans un objectif d’émancipation ? Comment échapper à une certaine hygiénisation de la question sociale ? » Beaucoup de questions, peu de réponses dans une salle clairsemée et composée de militants de la mémoire…
Erwan Ruty