
Les mairies communistes de Seine-Saint-Denis se souviennent du 17 octobre 1961

Nanterre, La Courneuve, Saint-Ouen, Saint-Denis… plusieurs des derniers fiefs communistes du 93 (et des Hauts-de-Seine) ont décidé de commémorer activement les massacres des algériens perpétrés il y a cinquante ans par les forces de l’ordre françaises. Et à franchir un pas que les institutions (ainsi que certains historiens) refusent de franchir, en parlant de « crime d’Etat ».
« Ce plus grand massacre commis sur le sol français depuis la Commune » de 1871, comme la rappelle le réalisateur Mogniss Abdallah, méritait bien plusieurs documentaires*, une exposition, maints dépôts de gerbes et les moult débats qui ont eu lieu pour l’occasion. Le soir du 17 octobre dernier, le centre Jean Houdremont de La Courneuve accueillait ainsi une rencontre avec M. Abdallah, fondateur de l’agence Im’média (pour « Immigration média ») et réalisateur de plusieurs documentaires sur l’émergence du mouvement « beur » dans les années 80 et 90. Dont « Douce France, la saga du mouvement beur », rétrospective de 10 ans de combat, où l’on aperçoit quelques figures de cette histoire oubliée des « enfants d’octobre ». Histoire oubliée ? Enfants d’octobres ? Deux questions pour des réponses en suspens.
Histoire oubliée
C’est ce que reconnaît le maire de La Courneuve, Gilles Poux : « J’étais militant communiste, je connaissais les massacres de Charonne [8 militants communistes y trouvent la mort le 8 février 1962 à l’occasion d’une manifestation contre la guerre d’Algérie]. Mais le 17 octobre, j’ai découvert ça sur le tard, et je me suis dit qu’il y avait eu un problème dans la transmission de la culture ouvrière qui avait occulté ça. » Des occultations dont parlent l’historien Gilles Manceron, spécialiste de la colonisation et de la décolonisation, dans son dernier ouvrage « La triple occultation d’un massacre » autant que Mogniss Abdallah : « Les occultations successives provoquent des recommencements ». Recommencements aussi rendus possibles, et c’est la conclusion courageuse de son documentaire, par « la peur de s’engager politiquement » qui serait selon le réalisateur l’une des caractéristiques du mouvement beur des années 80. Ainsi que l’une des fractures entre les différentes composantes de ce mouvement (SOS Racisme et MIB en particulier). Un refus de s’engager en particulier à gauche (et surtout au PS) justifié notamment par l’attitude frileuse des socialistes d’alors sur cette question, comme le rappelle M. Abdallah (lui-même proche de l’ex MIB) : « En 1983, le gouvernement socialiste a essayé de dissuader les marcheurs [de la Marche pour l’Egalité] de faire référence au 17 octobre ». On appréciera donc la présence de François Hollande ce matin du 17 octobre 2011 cette fois, pour déposer une gerbe au pont de Clichy, où disparurent cinquante ans plus tôt bon nombre de manifestants algériens (qui plus est aux côtés du maire d’Asnières, le jeune Sébastien Pietrasanta, lui-même issu des rangs… de SOS Racisme).
Enfants d’octobre
Si des films sur « le mouvement beur » sont projetés en lien avec cette commémoration, c’est bien dans un objectif politique : ne pas rester dans le seul commémoratif, et affirmer qu’il y a un lien entre la situation des algériens colonisés d’hier et les victimes du racisme et de la ghettoïsation d’aujourd’hui. Tous des « enfants d’octobre », comme le proclame l’exposition photo sur ces « 50 ans de lutte contre le racisme et l’oubli » montée par l’association courneuvienne Africa, qui honore cette mémoire depuis sa création en 1987*.
« Je crois qu’il faut toujours relier les luttes des immigrés aux mouvements sociaux, comme celui des Mal-logés par exemple, juge Mogniss Abdallah. Pour gagner, il ne faut pas seulement mettre un peu de diversité, d’égalité multiraciale en haut, à la télé, mais parler pour tous. » Une leçon à entendre, car la mémoire a tendance à se perdre. L’exposition d’Africa à Saint-Ouen sur le 17 octobre 1961 ? Personne n’en avait entendu parler dans le personnel municipal… trois jours après qu’elle ait été décrochée, y compris sur les lieux où elle avait été montrée. Ni à la bibliothèque, ni à la Mairie, ni au Centre administratif et social. Par contre, lorsqu’on pénètre dans celui-ci, on croise un homme en train de se faire expulser par deux agents de la police municipale, malgré ses vitupérations : « Vous n’avez pas le droit, mon père est un chibani, il est mort pour la France ! » Et cent mètres plus loin, on croise une plaque discrète « Ici est tombé Méki Laïffa le 22 août 1944, mort pour la libération. » Le passé suinte de partout, mais qui se soucie vraiment des « enfants d’octobre » ?
Erwan Ruty
*exposition designée par Mustapha Boutadjine (de L’Humanité notamment), dans les locaux de l’association Africa, 3 place George Braque à La Courneuve jusqu’à la fin octobre.