Le Paris d’hier, seconde patrie des rebelles Blacks américains

Le 10-12-2012
Par Karim Madani

Jake Lamar est un romancier afro-américain né en 1961, auteur de polar et de roman noir. Mais ce qui lie Jake Lamar, originaire du "boogie down" Bronx, à Paris, commence en 1993, date à laquelle l'ex-journaliste du Times débarque à Vincennes, puis dans le 18éme, où il vit encore.

Richard Wright, Baldwin ou encore Chester Himes étaient partis à Paris chercher la liberté. 

La mythologie parisienne

Jake Lamar a 12 ans quand il lit pour la première fois " Go tell it to the mounda" (La conversion), de James Baldwin. Alors qu'il demande à sa prof des éléments biographiques sur Baldwin, cette dernière lui indique qu'il vit et travaille à Paris. "C'etait tellement exotique, Paris, pour un gamin des " projects" (grands ensembles états-uniens, NDLR) du South Bronx, explique Lamar. Et puis, j'étais fasciné par ces auteurs, Richard Wright, Baldwin ou encore Chester Himes qui étaient partis à Paris chercher la liberté. Wright était traité comme un prince ici, il allait chez Lipp, vivait dans les beaux quartiers, fréquentait Beauvoir et Sartre. "
 
Richard Wright a beaucoup défendu la cause, mais il était déconnecté des réalités quotidiennes des gens du peuple à Paris

Algiers, Paris

Dans les années 60, Jake Lamar suit attentivement le parcours de Baldwin et de Wright. Les deux écrivains soutiennent la lutte pour l'indépendance du peuple algérien, et Baldwin, qui crève la dalle à l'époque, se lie d'amitié avec les gens de la communauté algérienne à Paris. Il a découvert le racisme dont étaient victimes les Algériens. Baldwin et beaucoup d'autres militants noirs américains étaient fascinés par le film La Bataille d’Alger, un manifeste de la révolution de Gillo Pontecorvo, film engagé pro-algérien tourné dans la Casbah juste après la guerre, avec des militants du FLN. "Richard Wright a beaucoup défendu la cause, mais il était déconnecté des réalités quotidiennes des gens du peuple à Paris. Plus tard, certains Black Panthers ont détourné des avions pour demander l'asile politique à Alger. C'était la dinguerie des années soixante-dix. "
 
Le Paris de Woody Allen est une pure carte postale un Paris blanc, intello, gentrifié, qui cultive l'entre soi.

Bronx Barbes versus Paris de Woody Allen.

"C'est la ville monde. Aux États unis, ils ont des programmes de télévision sur Paris, où tout le monde est blanc. Quand j'ai atterri dans le dix-huitième, ça été une véritable surprise. J'ai découvert une ville multiculturelle, de Pigalle à Montmartre, en passant par Barbés et la rue Junot. Dans le Bronx, tu peux ressentir une certaine tension, parce que tout le monde est armé ! À Barbès, c'est quand même beaucoup plus détendu." Le Paris de Woody Allen est une pure carte postale, de celles justement vendues sur les chaînes de TV américaines, un Paris blanc, intello, gentrifié, qui cultive l'entre soi. "Ce n'est pas mon Paris, définitivement pas, dit Lamar. C'est la même chose à NY. Le NY de Woody Allen n'est pas celui de Martin Scorsese, pas celui de Spike Lee, pas celui de James Gray. "
 
Je ne suis pas perçu comme peuvent l'être les Africains ou les Antillais

Un autre regard

À Paris, les gens perçoivent Jake Lamar différemment des autres Noirs de France. "Pour la plupart des gens, je suis américain avant d'être noir. Je ne suis pas perçu comme peuvent l'être les Africains ou les Antillais. Mêmes les flics se montrent courtois lorsqu'ils me contrôlent sans raison apparente et que je leur montre mon passeport américain." Mais Jake Lamar n'est pas dupe. Il sait que les contrôles au faciès sont monnaie courante dans la capitale. "C'est de la surveillance. C'est comme à NY, si tu es un jeune noir, tu sais que tu seras confronté au moins une fois dans ta vie à une rencontre avec la police."
 
Des écrivains maudits chez eux, en maraude à Paris.

La communauté afro américaine à Paris

Jake Lamar a écrit un roman qui s'intitule « Rendez vous dans le dix-huitième ». Il y raconte les tribulations d'un pianiste noir qui travaille dans une crêperie. Beaucoup des personnages du roman sont inspirés par des afro-américains exilés à Paris. "Moi je ne me suis jamais senti en exil, mais il est évident que la plupart des artistes noirs américains qui ont vécu à Paris étaient en exil. Un type comme Melvin van Peebles (réalisateur du brûlot Sweet sweetback’s baadassssss Song, unes des bombes expérimentale de la blaxploitation, NDLR) était beaucoup trop radical pour les américains. Quand je suis arrivé en 1993, une petite communauté s'était formée autour de feu Ted Joans, un poète de la Beat Generation que j'avais découvert au lycée. Il donnait des lectures au Tea and Theatre pages, une petite librairie anglophone, et avait ses quartiers au café Rouquet, à Saint-Germain-des-prés. Il y avait d'autres écrivains comme James Emmanuel, Leroy Bibbs." Des écrivains maudits chez eux, en maraude à Paris. "Des types avaient des doctorats aux Etats-Unis et n'avaient pas d'opportunité. Alors ils s'installaient à Paris, comme Tanny Stovall, qui a lancé un minority caucus très actif dans les années 90 ; les Sisters, un groupe de femmes afro-américaines s'était aussi constitué. Julia Wright, la fille de Richard, a beaucoup défendu le condamné à mort Mumia Abu Jamal, ici même à Paris. Aujourd'hui, la communauté est plus éparpillée."
 
Chester Himes est très populaire en France mais reste assez peu connu aux Etats-Unis

L'héritier de Chester Himes

Marcel Duhamel (éditeur de la Série noire) a traduit Chester Himes et lui a demandé de s'essayer au genre du polar, parce que Himes écrivait dans la " Blanche " (prestigieuse collection de Gallimard, NDLR), au début. L’éditeur Francois Guérif a découvert Jake Lamar, qui n'était pas spécialement porté sur le roman noir au début de sa carrière. Remarqué au début des années 2000, Lamar sera traduit en français et publié dans la prestigieuse collection Rivages Thriller. "C'est très ironique. C'est à Paris que j'ai lu Chester Himes pour la première fois. Et nous sommes new yorkais tous les deux ! Chester Himes est très populaire en France mais reste assez peu connu aux Etats-Unis". Comme pour les jazzmen de l'après-guerre qui connurent un succès fracassant à Paris, et qui inventèrent la notion de " hip " pour musiciens cools et branchés. Et que pense Jake Lamar des hipsters blancs et barbus qui colonisent le 18éme arrondissement ? " Mon ami Ted Joans de la Beat Generation était le hipsters ultime. Les noirs étaient hip dans les quarante, cinquante, la contre-culture des sixties a donné naissance au mouvement hippie, et maintenant il y a ces hipsters qui prolifèrent de Williamsburg (quartier branché de Brookyn, NDLR) à Montmartre", fait-il en plaisantant. La boucle est bouclée.
 
 
Karim Madani
 
 
 

 

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