La Marche pour l’Egalité, 30 ans plus tard : « de Gandhi à… Tony Montana » ?

Le 05-07-2013
Par Presse & Cité

La 2ème Journée des jeunes producteurs indépendants qui se tenait le 21 juin 2013 à Aubervilliers s’est permis, actu oblige, de faire un petit détour mémoriel par la Marche pour l’Egalité : en effet, en décembre prochain sortira « La marche », film de Nabil Ben Yadir. Le réalisateur était présent ce jour-là à la JJPI, en compagnie de Toumi Djaïdja, notamment.

 
 « La revendication n’était pas la première chose, mais il y avait  plutôt un idéal du justice, d’égalité dans les années 80, on parlait d’abolition de la peine de mort (...) La marche a été comprise comme une déclaration d’amour, de fraternité », relève, sur le ton angélique qui le caractérise, Toumi Djaïdja, initiateur de la Marche. Il a la cinquantaine bien entamée, mais c’est comme une âme, quelque peu hors du temps, qui semble s’adresser à nous. 
 


 
Mais cette « main tendue » se serait-elle transformée « en poing serré » ? C’est ce que semble dire l’auteur belge des « Barons », Nabil Ben Yadir, qui est aussi le réalisateur de la fiction dédiée à cet événement (avec Jamel Debbouze), et qui, à sa manière lui aussi, manie la punchline, mais avec un côté très rentre-dedans contemporain : « Les références, c’était Gandhi, maintenant, c’est Tony Montana ! Dans les images de l’époque, il y a une manière d’être très douce, avec une parole en vrai français, pas comme dans les clichés qu’on a sur les banlieues. » 
 


 
Comme le fait remarquer le réalisateur, le recul qu’il a (géographique, générationnel…) lui a permis de faire ce film qu’aucun auteur de fiction ne s’était risqué à entreprendre. Sans doute aussi, une certaine légende entourant la marche a-t-elle sacralisé cet événement pour tout une génération, française et issue de l’immigration notamment. Lui-même, qui a bouclé son budget grâce à Luc Besson, reconnaît humblement : « Faire ce film m’a grandi. Pourtant, faire un film sur une marche, c’est fatiguant ! On se sent tout petit face à Toumi qui a pris une balle et après a décidé de faire une marche comme Gandhi. Quand j’avais des difficultés pour avancer, Toumi m’envoyait des SMS avec des citations de Gandhi. Après, nos petits soucis de financement sont remis à leur place ! » 
 

Un film dans une histoire plus large

Mais si selon lui, ce film parle de la France, il le replace, il relativise quand même, avec une perspective plus large : « Si un mec de Brooklyn s’était pris une balle, et avait marché sur Washington, il y aurait eu un film trois ans après ; ici, c’est trente ans, et en plus, c’est un Belge ! Mais il y a trente ans, ça aurait été vu comme trop segmentant ! » La faute au « système » cinématographique français ? Aux enfants de marcheurs ? A une génération de cinéastes des quartiers qui sait si bien brosser un portrait rugueux de la réalité contemporaine, mais ose à peine regarder le passé ? Le maire socialiste d’Aubervilliers, ancien du PSU (gauche radicale autogestionnaire de l’époque), lui, préfère ironiser sur les Etats-Unis : « Les américains sont même capables de faire des films avant que les événements ne se produisent ! »
 


 
Mais il reconnaît que « la marche intervient dans un trou noir de revendications sur ces questions : le PSU était pour la carte de séjour de 10 ans, la marche lui a fait faire un bond, elle a été acquise dès l’arrivée de la marche sur la place Montparnasse (…) Les jeunes enfants de l’immigration ont ainsi revendiqué pour leurs pères. » Mohamed Mebtoul, ancien journaliste de l’émission Mosaïque, la première à s’intéresser aux immigrés et aux minorités dans leur ensemble, sur la télévision française, ainsi que du premier journal dédié aux mêmes questions, Sans frontières, juge plutôt, lui : « On est ce que nos parents ont fait comme combats ». Et assure : avec les gens de Sans frontières, « on voulait imiter ce qui se faisait avec Martin Luther King ». 
 

 
 
Texte : Erwan Ruty
Images : Charly Célinain
 
 

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