Ceux qui marchent encore… la première expo sur 30 ans de luttes des quartiers

Affiche de la rencontre "Ceux qui marchent encore" des 7 et 8 décembre 2013 à la Bellevilloise à Paris / Agence Sans Blanc
Le 25-04-2014
Par Erwan Ruty

Une exposition unique a fait une brève apparition lors des 30 ans de la Marche pour l’Egalité, en novembre 2013 à Paris. Cette œuvre est le fruit du militantisme acharné des membres de l’Echo des cités (issus eux-mêmes du MIB et du FSQP), écrite notamment par Tarek Kaoutari et mise en images par l’agence Sans blanc. Dont le directeur, Ali Guessoum, qui n’en est pas à son coup d’essai, nous a reçu

 

P&C : Il me semble que c’est la première exposition qui retrace ces années de lutte, non ?
AG : Oui, il n’y a pas d’équivalent, à ma connaissance. D’ailleurs, nul autre que Tarek ou Nordine Iznasni, ou Farid Taalba, n’était capable de faire ce travail, avec une telle connaissance des réseaux. On aurait aimé qu’il y ait d’autres choses, de l’agence Im’média, de SOS Avenir Minguettes. Mais beaucoup de ceux qui ont fait cette histoire sont passés à autre chose, comme Toumi Djaidja. Mais qui a fait ressortir le livre de Bouzid Kara (« Carnets d’un marcheur »), qui avait disparu ? C’est Tarek, avec Salah Amokrane [du Tactikollectif, NDLR] !



P&C : Son objet principal est l’engagement, plus que l'histoire des quartiers ?
AG : C’est l’histoire d’un engagement, et l’histoire tout court. Une histoire qui commence en 73, avec les ratonnades de Marseille. Mais on raconte aussi le contexte social qui est derrière ces événements dramatiques. Ce qui nous permet aussi de voir que la voix des travailleurs existait bien. On raconte l’histoire de France sur ces territoires. Le mouvement social et culturel qu’on montre existe par rapport à ces territoires. Et par rapport à un contexte économique, celui des 30 Glorieuses, des barons du BTP etc.



P&C : Le fait que celui qui a écrit les textes est lui-même un acteur de cette histoire est en soi quelque chose d’unique dans ce type de travail. C’en est l’une des qualités, mais ça peut aussi en être l’une des limites. Des professionnels peuvent estimer qu’on ne peut être à la fois juge et partie quand on relate des événements historiques…
AG : Farid Taalba est l’archiviste de l’Echo des cités. Tarek est la mémoire historique. Il a une mémoire et une culture politiques phénoménales, et une vista. L’analyse qu’il portait dès 1984 sur la gauche et l’immigration est d’une acuité incroyable, quand on voit ce qui a suivi. Il ne s’est pas trompé. Cette exposition a sa patte, c’est un vécu personnel. Il y a aussi des apports de Saïd Bouamama, de Ahmed Boubeker [sociologues spécialistes de ces luttes, NDLR]. C’est ça qui fait la force de ce travail, c’est écrit à la première personne du singulier : l’analyse par les acteurs. Ils n’ont pas besoin d’historiens, il leur suffit de raconter ce qu’ils ont fait. Il faut désacraliser l’intervention des spécialistes et des professionnels de l’histoire. Ces derniers, parfois, manquent justement d’acuité. On peut regretter que les acteurs ne soient pas plus considérés par les historiens. Les témoins sont parfois dépossédés de leur histoire. Les disques de l’exil dont on parle dans l’expo, c’est les disques qu’écoutait mon père. Les polices de Pasqua-Pandraud, je les ai eues aux fesses !



P&C : Il y a des documents, des photos très rares…
AG : Beaucoup de sources proviennent de Joss Dray, d’Amadou Gaye, des archives du MIB, quelques photos de Génériques. Certaines aussi ont été achetées (au journal Le Progrès, par exemple, sur les rodéos) ; il y a aussi des archives personnelles (couvertures de disques de Hexagone, du film Black Mic mac)…



P&C : Est-ce qu’il ne serait pas intéressant de faire une exposition sur l’histoire des quartiers, et pas seulement des luttes des leurs habitants ?
AG : Il faudrait faire l’inventaire des créations artistiques notamment, une sorte d’album de famille des français pour montrer que l’offre culturelle de ce pays a été modifiée par ces auteurs issus de l’immigration. Il faudrait raconter la France de l’immigration, même latine, de Manu Chao à "Manu" Valls ! Avec surtout la volonté de rendre ça « grand public » ; et même pourquoi pas de faire un dessin animé façon « La folle histoire de l’homme » !

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