Banlieues Caraïbes : des îles caraïbes à l’île-de-France, cinq siècles de marginalisation ?

Le 18-05-2011
Par xadmin

Le Centre social Dulcie September est un bâtiment en cubes flambants neufs, dans un quartier récemment éventré par les bulldozers, mais qui respire maintenant le programme de rénovation urbaine. Au milieu des préparatifs pour la journée de lutte contre les discriminations, le 14 mai, une exposition sur l’esclavage dans les Caraïbes s’y déploie en 22 panneaux. Un événement qui figure dans le cadre du Printemps de la mémoire.
 

Confusion des mémoires
« On était bien tranquilles dans nos îles, les blancs sont venus nous coloniser ». C’est cette saillie qui a incité Dominique Renaux, le directeur de la revue Sakamo, du collectif Fusion, à monter l’exposition Banlieues Caraïbes. Elle émane d’un collégien de Picasso*, rencontré lors de la présentation du travail de cette association du Val D’Oise vieille de sept ans. Confusion des mémoires entre histoire de la colonisation et celle de l’esclavage, notamment. Bref, un bon résumé des préjugés qui justifient l’existence de Fusion, et de leur étonnante revue, dont le titre Sakamo est à lire littéralement : « Nos trois premiers numéros étaient des recueils de mémoires et de paroles d’habitants », argue Dominique Renaux. Il y a aujourd’hui 15 numéros, au rythme de deux par an, à chaque fois à l’occasion d’un événement, expo ou théâtre surtout. Avec des textes courts (« pour que les collégiens ne soient pas effrayés, avec une ou deux idées par article »). Tous les thèmes sensibles possibles y ont été passés en revue : travail des femmes, laïcité, mémoire de l’immigration, colonisation, identité française, colonies et guerres mondiales, métissage…
 

Des tours et des champs de patates
Tous les visuels utilisés viennent d’archives mises à disposition par les habitants des quartiers où œuvre l’association : de Garges, Sarcelles, Arnouville, Villiers. « Nous sommes financés par le contrat de ville, notre objectif c’est donc de faire avec les habitants, pas avec les iconothèques », minimise le responsable de la revue. Mais on sent bien que le travail militant est une seconde nature chez notre interlocuteur. « Nos visuels sont souvent récupérés dans les zones pavillonnaires, comme si la mémoire y était plus ancienne. En particulier un grand-père de Sarcelles, qui avait gardé des images des années trente, nous en a beaucoup donné. Elles nous permettent de nous interroger sur cette mémoire différentialiste, puis discriminatoire, sur cet imaginaire qui a encore des conséquences. » Et c’est ce qui fait que des rats de bibliothèque, comme se définit Dominique Renaux, s’activent : « Ce n’est pas parce que les tours ont remplacé les champs de patates que les lieux que nous habitons n’ont pas d’histoire ! » Iconographie riche et textes denses, présentation classieuse, la logique est fièrement revendiquée : « Il faut du beau là où il y a de la pauvreté ! »

Faire le lien
Le tout est donc mis en page dans une sorte de cahier d’exposition, à l’aune des autres numéros réalisés par le collectif, centré autour des questions de mémoire. Mais tout ce travail n’aurait pas eu lieu s’il n’entrait en résonance avec des préoccupations du quotidien. C’est en tous cas ce que met en avant l’exposition, qui fait référence à la fois à l’histoire des Antilles, en terme de peuplement, d’activité économique, de relations sociales entre esclaves et maîtres, Blancs, Noirs et Créoles, mais se penche aussi sur les conséquences de cette histoire sur les relations entre métropole et îles caraïbes, jusques et y compris aujourd’hui (chômage, afflux des antillais en métropole etc). Yahia Mahcer, directeur du Centre social, lui aussi, via cette journée de lutte contre les discriminations intitulée « L’Arbre qui cache la forêt », fait le lien entre des phénomènes qui ne paraissent pas toujours liés : « Les gens pensent que les discriminations sont seulement liées au racisme. Nous, avec notre travail autour du 14 mai, on leur dit que c’est plus large : nous-mêmes avons parfois des comportements discriminants quand nous demandons le plus souvent à certaines personnes, bénévoles ou stagiaires par exemple, de faire la cuisine ou de les cantonner à certaines tâches ! C’est aussi pour ça que nous aidons l’écrivain public à répondre à certains cas de discriminations qui se présentent à lui sur des questions de logement ou de rapports hommes-femmes. » C’est que le centre, qui a connu une période de basses eaux en raison des travaux (d’autant plus « qu’avant, c’était un bunker », reconnaît M. Mahcer), renoue aujourd’hui avec un public plus large, au-delà des 6-12 ans attachés aux activités traditionnelles à ce type de lieu…
 

Une histoire plus ou moins bien transmise
Ce qui permet au directeur du centre de se rendre compte d’une certaine souffrance sur ces questions : « il y a une très grosse communauté antillaise ici, et dans le monde associatif local, la dominante reste antillaise, avec des associations comme Afriques-Antilles ou encore la maison de l’Outre-Mer, sans compter les élus antillais dans l’équipe municipale… Ce sont beaucoup d’associations qui ont des activités culturelles, de danse etc. C’est quand même quand c’est festif que ça marche le mieux. Quand il y a des débats, ça peut être assez tendu, y compris entre Martiniquais et Guadeloupéens. Mais c’est bien dans cette communauté qu’on parle le plus de l’esclavage, même si ça reste tabou pour certains. Cette histoire est plus ou moins bien transmise par les parents, et du coup ça peut avoir des conséquences en terme d’esprit de revanche. D’autres au contraire sont plus royalistes que le roi : ils ne veulent pas entendre parler de ça. » Mais il reste à prouver que des expositions comme Banlieues-Caraïbes attirent un public nouveau dans le centre. Chacun s’y rend pour ses activités, en fonction de son âge en particulier. D’où l’idée d’un minibus qui circulera dans les quatre centres des villes partenaires, avec un vidéaste à bord pour interviewer les habitants sur les discriminations. Il faut bien aller chercher le public avec les dents, dans certains cas…

Erwan Ruty


*Où un élève a récemment été passé à tabac
 

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