1983, année charnière pour l'immigration en France

Le 27-03-2013
Par Charly Célinain

Lundi 25 et mardi 26 mars avait lieu le colloque « 1983, tournant médiatique de la question de l'immigration en France ». Le premier d’une série d’événements qui se dérouleront pendant l'année 2013 pour commémorer le 30ème anniversaire de la Marche pour l'égalité. Une entrée pour mieux comprendre le contexte dans lequel cet acte fondateur des banlieues a émergé.

 
1983. Le 15 octobre, à l'initiative de Toumi Djaïdja, président de SOS Avenir Minguettes (dans la banlieue de Lyon), et de Christian Delorme (« prêtre-ouvrier » de cette cité), une « Marche pour l'égalité » part de Marseille pour rejoindre Paris. Tout au long du trajet, et notamment lors de leur passage à Lyon, au fur et à mesure, de nombreux marcheurs se sont ajoutés au convoi. A Paris le 3 décembre, ce sont près de cent mille personnes qui accueillaient les marcheurs. Cet événement a marqué l'émergence d'une nouvelle génération de jeunes issus de l'immigration. Cette jeunesse stigmatisée, malmenée et parfois même assassinée, lors d'une année 1983 qui a vu se multiplier les crimes racistes. Cette année-là, le Front national devenait une menace palpable avec, pour visage, celui de Jean-Marie Le Pen. 1983, année charnière...
 

Année meurtrière

9 juillet 1983, les 4000, La Courneuve. Des enfants s'amusent à faire exploser des pétards, soudain l'un d'entre eux s'écroule. Toufik Ouannès, dix ans, a été touché par un coup de fusil. L'auteur du coup de feu, un père de famille de 45 ans « à la santé fragile », salarié de la RATP, s'est rendu et est passé aux aveux. Les médias ont eu du mal à qualifier ce crime de raciste préférant expliquer cet acte par la nuisance sonore ou la chaleur extrême. Seul le journaliste Marcel Trillat a osé un édito contre les crimes racistes. Claire Sécail, chercheure au laboratoire Communication et Politique (CNRS) revient sur la politisation de ce meurtre : « Finalement la mort de Toufik devient « le drame des grands ensemble ». François Mitterrand, en visite surprise à la Courneuve peu après, annonçait un plan anti été chaud. Une façon de remettre en avant l'argument météorologique pour expliquer ce meurtre ». Un exemple parmi près d'une dizaine de cas de violence raciste qui ont eu lieu cette année-là.
 
83-84, c'était la fin du mythe du retour

« Des luttes d'immigrés aux luttes des quartiers »

En cette année 1983, émaillée de crimes racistes, Toumi Djaïdja, un des initiateurs de la Marche pour l'égalité, originaire des Minguettes (Lyon), est lui-même grièvement blessé par balle par un policier. Pour Salah Amokrane, directeur de l'association Tactickollectif, cette année est charnière : « Cette année-là, nous sommes passés des luttes d'immigrés aux luttes des quartiers. Les années 83-84, c'était la fin du mythe du retour. Nous étions élevés dans cette idée-là et nos parents se sont construits dans cette idée-là ». Cette nouvelle génération est française et compte bien construire sa vie sur le sol français. 
 
L'écart entre les militants et la Gauche s'est creusé un peu plus avec le choix de mettre en avant SOS Racisme pour mener le combat

Rapports à la Gauche 

« La Marche devait être le retour de la Gauche mais il y avait beaucoup de choses non-dites, les motivations n'étaient pas les mêmes. Les beurs manifestaient contre les crimes racistes et pour réaffirmer leur désir de projection dans la vie française. Les socialistes devaient surtout se remettre du coup de massue de l'élection de Dreux [Première victoire électorale du Front National, après une alliance avec la liste RPR, lors des élections municipales partielles, le 11 septembre 1983, NDLR] ». Différence d'objectifs encore plus flagrante lors de la deuxième Marche en 1984 : « L'écart entre les militants et la Gauche s'est creusé un peu plus avec le choix de mettre en avant SOS Racisme pour mener le combat ». Les relations entre les militants et la Gauche commençaient à se dégrader : « Le discours d'arrivée de la Marche était une « Lettre ouverte aux gens convaincus » qui renvoyait la Gauche à son paternalisme. Le message disait « Soutenez-nous mais en étant respectueux de notre indépendance » ». 
 

De 1983 à aujourd'hui

Pour Salah Amokrane, cette question d'indépendance était présente dès le début : « Avec ce problème du FN, la Gauche disait à demi-mots : « Ce n'est pas le moment de faire des particularités avec vos histoires d'immigrés ». Et jusqu'à aujourd'hui, cette éternelle tentative de s'organiser de manière autonome n'a pas abouti. Il y a toujours un problème qui vient y faire obstacle. En 93 c'était la question de l'islamisation, aujourd'hui c'est le problème de la laïcité ». Pour le militant de Tactickollectif, les « héritiers » de 1983 ont déplacé le combat sur un autre terrain : « Il y a eu un repli sur l'action locale. Aux élections municipales, de nombreuses listes, qui se revendiquent de cette dynamique, ont émergé ». Une façon d'accéder à une autonomie tant désirée par les habitants des quartiers ?
 
Salah Amokrane semble peu enthousiaste par rapport à tout ce qu'il se passe aujourd'hui : « C'est le trentième anniversaire de la Marche et nous sommes, plus ou moins, dans les mêmes sujets qu'en 1983 et dans les mêmes discussions avec la Gauche. Pourtant, à l'époque, nous avions vécu ce moment là comme une valorisation. Nous avions l'espoir que nos préoccupations soient enfin au centre du débat politique ». Comme une impression de déjà vu...
 
 
 

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