
Le business de la nostalgie aurait-il fait encore un mort dans les banlieues ?

Le court-métrage de Jérôme Maldhé intitulé La guerre des bonbons, réalisé en 2007 avec 2500 euros à Vigneux-sur-Seine (Essonne), ville d'adoption de ce Vitriot, a été mis en avant par certains sites Internet, au moment où deux producteurs assoiffés de dollars se bagarraient autour de la tombée dans le domaine public de l'oeuvre de Pergaud pour en tirer pas mal de brouzoufs. La guerre des bonbons de J. Maldhé, elle, ne rapportera rien, pour l'instant. Le business de la nostalgie a ses lois...
Le public des super-productions a quand même marché dans la combine de la guéguerre des boutons (plus de 3 millions d'entrées), comme quoi le filon du réalisme réac façon Les choristes marche toujours aussi bien. Il semble même y avoir comme un business model : une demande « d'avant », parce qu’avant c'était vraiment mieux, puisque c’était l'époque où on se castagnait dans les prés en culotte courte, dans cette province où la terre, elle, ne mentait pas. Comme dit Jérôme Maldhé, « les années 40, la vieille France, ça marche. Mais c'est un fantasme, très édulcoré par rapport au roman initial. »
C'est aussi qu'Entre les murs et ses jeunes presque de banlieue (classes dangereuses) font quand même peur aux classes moyennes. Et que pour éviter l'école façon Bégaudeau, ce public qui flippe du descenseur social et qui va encore au ciné, préfère verser une larme sur une chromo démago, plutôt que sur une réactualisation d’une œuvre, celle de Pergaud, qui fut subversive en son temps.
Etre en résonance avec la société
Jérôme Maldhé, lui, avec le recul, est tour à tour combatif ou désabusé : « Moi, je veux être en résonance avec la société. L'expérience de ce court m'a amené à voir que le cinéma, c'est du business. Après 2007, un producteur est venu me voir pour me demander de l'adapter en long. Mais dans une version contemporaine, pour le cinéma, une comédie avec des gosses et des parents. Pour 4 millions d'euros de budget. Les deux « Guerre des boutons » ont coûté 12 et 16 millions environ. Mais avec mes acteurs, des Noirs et des Arabes, ça ne se vendait pas bien. Au bout d'un an, je quitte le producteur, pas trop investi, et tente de financer le film moi-même. Je monte ma boîte de production. J’ai voulu sortir mon film gratuitement, sur Internet, pour 500 000 euros. Quand j'ai appris que la date de sortie de leurs films avait été avancée, j'ai lâché l'affaire. »
Humaniser les banlieues
La résonance avec la société de La guerre des bonbons de Maldhé saute aux yeux : cette délicieuse romance enfantine et funk nimbée de nostalgie, dans laquelle deux gamins qui partagent tout, et notamment leur vélo, finissent par s'opposer à cause d'une fillette de leur âge, raconte ce qu'a vécu un môme de la fin du XXème siècle de la banlieue sud de Paris ; « une histoire d'amitié, de fidélité, autour de la bande. La bande, c'est une deuxième famille, qui est implantée dans un lieu précis, et grâce à laquelle on croit qu'on va s'en sortir parce qu'on est amis. Mais on ne peut pas rester dehors toute la vie, on doit passer la main à un moment. C'est un recommencement : à la fin de mon film, on voit que les ennemis sont devenus potes, que les 20 euros perdus sont rendus, et que le mec qui traînait dans le quartier s'est rangé, il est père de famille. Le livre de Pergaud n'a pas créé le scénario de mon court-métrage. J'avais juste envie de raconter cette intrigue, cette embrouille qui est une petite guerre des boutons. Ca humanise les banlieues, tous les gosses de tous les pays et de toutes les classes sociales vivent ça. Je ne suis pas le porte-parole des banlieues. Je veux surtout susciter de l'émotion. »
Parqués cérébralement
Finalement, l'histoire de La guerre des bonbons a bifurqué vers quelque chose de plus dramatique, dans un long qui pourrait s'appeler « Vole comme le papillon » (référence à Mohamed Ali), autour d'une rivalité entre jeunes de deux cités. Jérôme a compris qu’on ne pouvait pas toucher à un certain patrimoine culturel. « L'accès à la culture est limité en France, or on a besoin de culture pour s'en sortir. Tout est gratuit, l'école, les livres, la bibliothèque, les colos... mais on nous a parqués cérébralement. J'ai du mal à pouvoir raconter ça. C'est ce que j'ai vécu, mais c'est pas finançable. »
Conclusion, La guerre des bonbons : 0 – la guerre des bouffons : 2. Heureusement, comme au cinéma dans les films de zombies de Romero, les morts se relèvent parfois, en banlieue. Et comme Jérôme Maldhé n'est pas encore mort, il a encore au moins deux vies devant lui.
Erwan Ruty
LA GUERRE DES BONBONS 2011 par citeart