Ni commémorations ni revendications, le silence de la diaspora camerounaise en France

Le 06-10-2011
Par xadmin

Le cinquantenaire de la mort de Ruben Um Nyobé, les dix ans de celle de Mongo Beti, entre autres, n'ont pas donné lieu à des commémorations officielles. La société civile non plus ne s'est pas saisie de ces anniversaires. L'histoire franco-camerounaise, marquée par des assassinats, des massacres, des tragédies, laisse entrevoir une mémoire enfouie, étouffée, taboue, en France comme au Cameroun, et y compris dans la diaspora. A quelques jours de l’élection présidentielle qui doit se tenir le 9 octobre au Cameroun, il est convient de s’interroger sur ce silence.

A quelques jours du 50e anniversaire du 17 octobre 1961, les commémorations vont bon train. Manifestations, films, livres, expositions… Les associations d’Algériens en France sont sur le pied de guerre depuis des mois. Tout est fait pour que nul n’ignore ce qui s’est passé à Paris ce jour-là. Il en va de même pour la guerre qui a conduit à l’indépendance de l’Algérie, dont le cinquantenaire sera sans doute commémoré, remémoré, des deux côtés de la Méditerranée, dans quelques mois (en mars 2012).
Un autre anniversaire est en revanche passé inaperçu. L’assassinat de Ruben Um Nyobé, secrétaire général de l’Union des populations du Cameroun (UPC) qui a porté les revendications d’indépendance du Cameroun jusqu’à l’Onu, le 13 septembre 1958 par une patrouille française. Aucune commémoration officielle n’a été organisée. Pourtant, une guerre civile d’une violence inouïe, d’abord soutenue et même conduite par la France, ravage le pays de 1958 à 1971, faisant sans doute 40 000 morts en pays bassa en 1960-61, et jusqu’à peut-être… 300 ou 400 000 morts, seulement entre 1962 et 1964. Cette amnésie commémorative ne doit pas étonner dans le pays de Paul Biya, le chef de l’Etat camerounais. En revanche, les opposants politiques, la société civile, non plus, n’ont pas cherché à rappeler aux jeunes générations ce passé si longtemps refoulé.

Prier, danser, manger… oublier
Pourtant la France accueille la plus importante communauté camerounaise à l’étranger. Une communauté qui compte de nombreuses associations culturelles, où l’on se plaît à mettre en avant la musique, la cuisine, les arts camerounais. Qu’en est-il de l’histoire ? Rien. Le pays est entré en campagne électoral dimanche 1er octobre. Pourquoi l’occasion n’a pas été saisie, au même titre que le cinquantenaire de l’indépendance, pour rappeler cette histoire douloureuse et réclamer que la lumière soit enfin faite sur le meurtre de Ruben Um Nyobé, entre autres ? « Je ne l’explique pas, admet Patrick Evinat, président du Rassemblement des Camerounais de France (Racaf). Sans doute, nous, responsables associatifs, avons notre part de responsabilité. Je pense que c’est par ignorance. Ou peut-être par peur. » Pourtant, ces derniers organisaient une grande prière les 1er et 2 octobre à Toulouse pour la paix au Cameroun. 300 à 400 personnes se sont ainsi réunies. Ils ont prié, chanté, mangé. N’ont pas manqué de parler du pays, d’évoquer son actualité, à commencer par la présidentielle qui arrive.
Odile Tobner, présidente de Survie et veuve de l’écrivain camerounais Mongo Beti, pose le problème autrement. « Les Camerounais sont très dispersés en France. Il y a des groupes actifs mais leurs activités ne sont, bien sûr, jamais relayées dans les médias. C'est comme si elles n'existaient pas. » Ajoutées à cela, les pressions exercées pour étouffer cette histoire. « L'histoire officielle universitaire française s'est employée à camoufler ces événements. Le livre de Mongo Beti "Main basse sur le Cameroun1 " a été interdit et saisi en 1972. Il y a donc une ignorance générale en France soigneusement organisée par les instances dirigeantes. Le silence n'a été rompu que récemment par un documentaire "Autopsie d'une indépendance2 " et un livre "Kamerun3 ". Il y a une nouvelle génération de journalistes, mais des francs-tireurs, qui essaie de rompre le silence. Au Cameroun étudier cette période, sauf pour la maquiller, c'est renoncer à toute carrière. »

Pas d’opposition
Malgré tout, au Cameroun, une poignée d’irréductibles s’évertuent à perpétuer la mémoire de l’écrivain engagé Mongo Beti. Lequel s’était battu pour le souvenir du combat de Ruben Um Nyobé. « Il ne peut pas y avoir de commémoration officielle puisque ces grands camerounais ont lutté contre tout ce que représente le pouvoir actuel, rappelle Odile Tobner. Paul Biya a été le bras droit d'Ahidjo (premier président de la République camerounaise, soutenu par la France) avant d'être premier ministre puis président. Mongo Beti a dénoncé sans cesse le pouvoir camerounais corrompu. Il n'y a pas d'organisation importante dans la société civile, tout comme il n'y a pas de grand parti d'opposition. Le système Biya a gangrené toute la société. Seule une petite mais courageuse association d'étudiants, l'ADDEC (Association de défense des étudiants camerounais) est allée en délégation sur la tombe de Ruben Um Nyobé pour le cinquantenaire et vient régulièrement aux réunions pour Mongo Beti. » En France, également, sur une initiative de l’association Survie, un meeting était organisé mardi 6 octobre, à la Bourse du travail, de Paris sur le thème « Urgence pour le Cameroun », en marge de la campagne présidentielle camerounaise. Au programme, un certain nombre de questions, dont « La guerre d’indépendance camerounaise : une histoire toujours taboue ».

Dounia Ben Mohamed
 

1Réédité en 2010, coll. Poche, éd. La Découverte, 251 p.
2Gaëlle Le Roy et Valérie Osouf, 2007.
3Une guerre cachée aux origines de la Françafrique - 1948-1971 Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa. Etude (broché). Janvier 2011.
 

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