
Mon incroyable Quito, épisode 4 : Quito-double

Bien plus téméraire que le reste de l’équipe, je suis allé faire un tour dans le « vrai » Quito au dernier jour d’Habitat III, contre toutes les mises en garde locales d’usage. Ça ressemble à quoi une ville équatorienne qui accueille un Sommet de l’Onu ?
Agora Habitat III. Enfermé depuis trop longtemps dans cet enclos construit spécialement pour l'occasion, je suis heureux de me dégourdir les jambes dans le centre-ville. Direction le Marché central, dans le Mariscal district. J'ai envie de tout goûter tant il y a de diversité dans les fruits et les légumes. Architecture coloniale, rues pavées... On comprend tout de suite pourquoi le « centro historico » a été classé en 1976 Patrimoine mondial par l'Unesco. Au détour de la rivière, un peu comme Pocahontas, je croise un autochtone. Il parle un anglais moyen, je parle un espagnol moyen. On est fait pour s'entendre. Je me rends vite compte que nous avons un ami commun ! Le monde est tout, tout petit. L’autochtone est tatoueur. Graffeur. Et peintre. Mais il est presque 13h et je n'ai pas mangé. Mon ventre se met à geindre. Sans forcer, Sebastian, c’est son nom, m'invite chez lui. On achète quelques victuailles sur le chemin. Nous montons des marches - Quito est une cuvette de 50 km de long sur 8 km de large, encerclée par deux montagnes, donc ça monte assez souvent. Je suis essoufflé (la ville est perchée à 2850 mètres d’altitude). Nous voici sur sa terrasse. Vue magnifique. Il me raconte un peu la ville. « El sur, it's forbidden for you, muy peligroso ».
Habitat III, c’est des « dollares » en plus
Le sud, c'est simple : c'est là où il n'y a pas de building et où tous les indésirables sont entassés. Pour un séquano-dionysien comme moi, c'est quelque chose de banal finalement. Ça me donne encore plus envie d'y aller. Sebastian me le redit : « Don't go, it's not Europe there ». On bavarde sur les prix des tatouages et des bombes (pour le graff, hein) : « La culture urbaine, ici, ça coûte cher ». Telle est la réponse qu'il me donne lorsque je lui pose la question d'une identité culturelle urbaine commune à l'heure de la mondialisation. Sebastian se met à cuisiner : avocat en purée, banana verde écrasée, riz au quinoa, maïs blanc (il y a plus de 70 maïs différents ici). Je n'ai plus qu'à mettre les pieds sous la table. Mon hôte me fait remarquer qu’Habitat III, pour lui, c'est des « dollares » en plus dans sa poche et qu'au moins le monde entier découvre le pays et la ville. Et Correa ? je lui demande, ton président ? « He's a good guy and he makes Ecuador great again ». « Great again ». J’ai déjà entendu ça quelque part. Voter, c'est une obligation en Equateur. Si tu ne votes pas, tu as une amende.
Gentillesse extrême. Sebastian m'invite à une soirée, mais je ne peux pas. Frustration. On parle « Arte Contemporaneo ». Son père, Fernado Manriquez, est apparemment l'élève d'Oswaldo Guayasamín, un maître expressionniste du réalisme social – j'ai lu ça sur Wikipédia. Le père de Sebastian a sa petite réputation. Il me parle de l'histoire du pays et de la « Dictablanda » - la dictature molle -, de la montagne d’en face, « la Pinchincha ». 15h, le téléphone sonne, une Suisse l'attend pour un tatouage. « How do you find your customer ? ». « The network », me dit-il. « Come in 2 hours, I can show you all the city ». Arf ! Impossible !
« avant, c'était squatté par des drogués »
Mariscal District. Le lendemain. Mon article devrait déjà être fini et publié mais j'avais envie d'avoir un autre regard sur la ville. Une douce et généreuse voix me conseille une galerie d'art en plein cœur d'un quartier bien américanisé. Pas d'Internet, je me perds dans les rues. J'hésite à revenir sur mes pas. Quelques minutes auparavant, deux journalistes équatoriens d'un certain âge m'avaient invité à boire une bière. « Journalist ? From Where? Paris? Nice ! Come tonight, there’s the president at a reception. We invite you ».
Par hasard, je trouve la « Kowe art Galerie ». Kowe, ça veut dire « siempre » en huaorani - une langue indigène du coin. « Toujours », en français. Ça donne le ton. Marjorie, une Française installée à Quito depuis 5 ans, m'explique l'histoire du lieu. La galerie a été montée en 10 jours dans le cadre « d'Habitat III village » pour la partie culturelle de la conférence. Elle y expose des artistes équatoriens avec l'aide de l'Operación Urbana Sostenible, une structure qui redonne vie à des lieux abandonnés en concertation avec les habitants. « Avant, me dit la fille, c'était squatté par des drogués. Mais pour Habitat III, ils ont été déplacés ». Je demande : « C'est cool de vivre à Quito ? » Elle répond : « J'habitais Mindo, à la campagne. Il y avait moins de pollution. Parce qu'avec toutes ces voitures, l'air ici, il n’est pas très bon. Mais oui, c’est cool ». On parle un peu de politique : « Correa, au début, il était intéressant. Il avait un positionnement vraiment en faveur du peuple. Peut-être que c'est le pouvoir qui l'a rendu fou. En même temps, je comprends. Ça me rendrait folle aussi ».
pendant habitat iii, « Une ville fake » : Jus de fruits nulle part, coca partout
Elle me parle des promesses du Président en matière de non-exploitation pétrolière du parc amazonien Yasuni, réserve mondiale de la biosphère - classée au Patrimoine mondial par l’Unesco. L'exploitation a finalement commencé cette année, en septembre. Pourtant, je crois que c'est lui, Correa, qui en visite à Paris à l’occasion de la COP21, plaidait pour l’instauration d’un « crime contre la nature » en droit international. Dommage. « Tu devrais sortir un peu de la ville si tu as le temps, ce pays est magnifique. Ses habitants aussi d'ailleurs. Un mélange de la chaleur des Colombiens et de la réserve des Péruviens. ». Une question me taraude : « Il y a toujours autant de policiers à Quito ? » « Ah non ! Là, tu ne vois pas la vrai Quito. C'est une ville « fake », pour l'occasion de la conférence. Rien qu'autour de l'Agora et du parc, il n’y avait rien avant ». J'écoute avec attention. « Le maire de Quito, poursuit-elle, a même interdit certains vendeurs de jus de fruits de rue. Apparemment, leurs jus seraient trop sucrés ! Pourtant, on peut acheter du Coca-Cola partout ! »
Des badauds entrent dans la galerie. « Le plus drôle, c'est que le maire de Quito ne veut pas conserver la structure - l'Agora a été construite exprès pour Habitat III. Il veut raser tout ça. Ça ne fait pas trop ville durable, hein ! ». On aborde enfin le sujet du métro, sorte de Notre-Dame des Landes local. Construire un métro dans un sous-sol en gruyère où le risque sismique est important, c'est ça l'idée : « On espère que la conférence va servir. Que des choses vont perdurer et d’autres évoluer. Ce qui est bien ici, c'est que tout est en perpétuelle évolution. Tu sais, quand le peuple n'est pas content, il descend dans la rue. Ils ont déjà viré un président comme ça... ».
Le temps passe. Dehors, des personnes sourient, le soleil resplendit et fait ressortir le bleu de la bâtisse d'en face. Les odeurs d'empanadas arrosent mes narines et l'espagnol chante dans mes oreilles. Demain, je dois rentrer à Paris. Mais j’ai enfin vu les deux visages de Quito. Pendant la conférence, c'est Quito-double…
Cette série a été réalisée en partenariat avec le "média qui explore le futur", Usbek & Rica, pour l'Agence française de développement