Ghetto or not ghetto ?

Le 09-09-2011
Par xadmin

Loïc Wacquant, professeur de sociologie à l’université de Californie-Berkeley, spécialiste des quartiers populaires français autant qu’états-uniens, offre avec Parias urbains, écrit au moment des émeutes françaises de 2005, un tableau comparatif de l’histoire et du quotidien de deux quartiers déshérités, « damnés de la ville », de France et des Etats-Unis : le ghetto de Chicago et la cité des 4000 de La Courneuve. Un éclairage édifiant… mais peut-être daté.
 

Le message est clair, et réaffirmé à de multiples reprises tout du long de cette enquête : « les banlieues ne sont pas des ghettos à l’américaine ». La démonstration s’appuie sur des analyses très précises et des entretiens nombreux.
Il existe pourtant des similitudes : stigmatisation, déprolétarisation, relégation, « sentiment d’indignité » et de « chute collective », « fortes concentrations de minorités » et traitement pénal de la pauvreté de plus en plus marqué, en particulier. Mais les critères qui lui permettent de différencier les deux situations, sont multiples : différences d’échelle (400 000 habitants dans le ghetto de Chicago, 13 000 aux Quatre Mille de La Courneuve, du moins en 1982), « zones pluriethniques » en France contre absence de contact avec le monde extérieur et « endogamie rigide » aux Etats-Unis (97% des femmes noires se marient avec des Noirs), un taux d’emploi compris entre 40 et 48% aux 4000, contre 16% dans certains quartiers de Chicago, 6% de familles monoparentales côté français contre 60% de l’autre côté de l’Atlantique, mortalité infantile de 8 pour mille à La Courneuve, 30 pour mille à Chicago… sans même parler de la violence (dix fois plus élevée que sur le reste du territoire américain, 75 fois plus qu’en France…), une violence qui « a entraîné la quasi-disparition de l’espace public ».
Conclusion définitive : « la banlieue française n’est pas une formation sociale homogène porteuse d’une identité culturelle unitaire, jouissant d’une autonomie (…) avancée fondée sur un clivage entre races ».
 

Mais l’analyse de Wacquant est surtout une impitoyable description des processus de décomposition des quartiers déshérités des deux côtés de l’Atlantique, frappés par la désindustrialisation. Il replace donc les conséquences de ce phénomène dans le temps long et dans une réflexion sur la désagrégation du fordisme, du salariat, et sur les politiques publiques, notamment urbaines, menées (ou non !) par les pouvoirs publics des deux nations. Avec pour effet du « démantèlement du contrat social fordiste-keynésien », une « polarisation sociale des villes et des politiques étatiques qui a ouvertement promu les intérêts des grandes entreprises et la marchandisation au détriment de la protection sociale ».
Et de critiquer, dans un entretien accordé au site Que faire : « Tous les discours sur la ghettoïsation, l’ethnicité, la diversité, la délinquance participent de la même nébuleuse dont l’objet est de bloquer à tout prix la nouvelle question sociale du XXIème siècle qui est la fragmentation du salariat et ses effets sur la vie familiale et personnelle. »*
 

Cette démonstration est cependant datée en ce qui concerne La Courneuve, puisque remontant à des études entreprises au tournant des années 80-90. Un reproche dont se défend l’auteur dans sa postface rédigée en 2006 : « Le temps de la recherche n’est pas celui du commentaire médiatique ou de l’action publique ».
Un avis que ne partage pas son confrère Didier Lapeyronnie qui, en 2008, publie un 619 pages explicitement intitulé Le ghetto français en guise de réponse ! Et assure même, en contre-pied de la vision de Wacquant : « Les distances ont remplacé les conflits de classe ». Pour lui, la ségrégation à la fois sociale et ethnique est la nouvelle ligne de fracture de la société française, et se lit dans la ségrégation spatiale.

Pourtant, Wacquant reste pessimiste quant à la situation française : « Quand on parle d’émeutes de banlieue, on n’a encore rien vu ! ». A tel point qu’à terme, rien ne dit qu’il n’y ait pas convergence des situations vers une ghettoïsation à l’américaine des banlieues françaises… Surtout, ne dormez pas tranquilles, braves gens !

Erwan Ruty

* http://quefaire.lautre.net/que-faire/que-faire-lcr-no04-juillet/Entretie...
 

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