Deux visions de l’Amérique

Le 09-09-2011
Par xadmin

Un livre, un film, deux manières de voir les Etats-Unis, du point de vu de français issus des « minorités », selon le vocable anglo-saxon.
 

Avant d’être le réalisateur d’Indigènes ou de Hors la Loi, Rachid Bouchareb, quelques mois avant l’effondrement des tours new-yorkaises, illuminait les écrans avec son Little Sénégal. Un film qu’on aurait pu confondre avec un opus de Spike Lee s’il n’annonçait pas subtilement le retour du refoulé colonial qui allait irréversiblement marquer la France des années 2000. Car même logée dans le quartier sénégalais de New-York, l’œuvre reste marquée par le regard singulier d’un artiste franco-algérien.

Le film suit le voyage d’Alloune, vieux guide de la Maison des esclaves de Gorée, dans la mémoire à vif de l’esclavage. En partant à la recherche de la descendance d’un ancêtre déporté durant la traite des noirs, Alloune tente un impossible rapprochement entre le destin des Afro-américains et celui des Africains. Si Alloune élève sa démarche au rang d’une âpre quête identitaire où les corps ploient, où la violence affleure et où le non-dit est la règle (bouleversante interprétation de Sotigui Kouyaté), il est bien le seul à porter ce fardeau. Dans la grosse pomme, la course à la survie et la violence ne laissent que peu de place aux quêtes d’absolu. Les personnages du film, migrants d’hier et d’aujourd’hui, incarnent la tourmente dans laquelle évolue Alloune : famille atomisée, misère sociale, enfance piétinée, femmes en lutte. Le poids des préjugés d’un coté et celui des traditions de l’autre, interdisent les retrouvailles des Africains avec leurs cousins d’Amérique.

Cet aller-retour entre l’Afrique et le nouveau continent, accuse le fossé qui se creuse entre les vagues d’immigration (y compris celles conduites à la schlague), et donne à voir une Amérique où les descendants d’esclaves, même tenus à distance du rêve américain, adoptent des accents xénophobes face aux nouveaux venus africains. Parabole triste de l’intégration que le cinéaste originaire de Bobigny, titulaire d’un CAP de mécanicien, devenu le réalisateur poil à gratter de la mémoire française, semble ici expliquer par la perte d’une mémoire et la rupture des généalogies. C’est d’ailleurs lorsque ressurgit la mémoire et que les filiations sont rétablies, que l’amour devient possible entre une jeune mère et sa fille, entre une femme seule et son lointain cousin d’Afrique.

Dans Little Senegal, Rachid Bouchareb réussit à vaincre la fatalité d’une histoire tragique en substituant à l’oubli et l’effacement de l’identité, un retour de mémoire. Un retour sur le passé sans concession que seule l’Amérique, nation jeune, est capable de faire. Ce tour de force possible au cinéma ou dans la littérature (Alex Haley reste le pionnier du genre), annonçait certainement les œuvres futures de Bouchareb. Œuvres parfois démonstratives, mais indiscutablement nécessaires pour un vieux pays, d’un vieux continent, « qui a connu les guerres, l’occupation, la barbarie. Un pays qui n’oublie pas et qui sait tout ce qu’il doit aux combattants de la liberté venus d’Amérique et d’ailleurs »1 .

 

Farid Mebarki

 

1Extrait du discours de Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères, prononcé à l’ONU le 14 février 2003 lors de la crise irakienne.

 

« Fuck You New York ! », un amour franco-américain qui finit mal.

Un bouquin cafardeux sur un jeune français, Malek, qui comme beaucoup, rêve des Etats-Unis, « crevant d’envie de découvrir un jour que ce que je vois sur l’écran, ça reste possible de le trouver dans la vie, au dehors ». Malek est quelqu’un de cultivé, mais fragile (on ne saura jamais pourquoi, cela nuit à la crédibilité de l’ouvrage). Manque de bol, il déboule aux USA deux ans après le 11 septembre… et se trouve en bute à la suspicion qui prévalait alors à l’égard de bon nombre « d’Arabes » (et/ou de musulmans). Cette réalité va provoquer un choc identitaire, dès la douane. « Je turbine comme un cinglé, me familiarisant avec mon âme d’Arabe, toute neuve et déjà gravée profond. Comment j’ai pu vivre jusqu’à maintenant sans savoir ? J’étais blanc et français, je suis marron et arabe ». Dès lors, malgré son désir d’aimer ce nouveau territoire (« Dieu que cette ville donne envie »), la fêlure se creusera de jour en jour, comme suite à un amour contrarié, et ne se refermera plus, plongeant Malek dans le désarroi, puis, lentement, la paranoïa, la folie. Une lecture dont on sort avec pas mal d’interrogations sans réponse sur la psychologie du personnage et les complexes raisons de sa descente aux enfers, mais qui témoigne d’un certain mal-être, et d’une ambivalence trouble. Une sorte de « conte de la frustration ».

E.R.


Fuck You New York, de Kamel Hajaji, editions Sarbaccane.

Little Sénégal, Rachid Bouchareb

 

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