
Banlieues-USA, le paradoxe

Les populations de ces quartiers populaires, les jeunes notamment, s’intéressent-ils aux USA ? S’ils sont fascinés par « the american way of live », Hollywood et ses paillettes, les rappeurs bling bling dont ils ont adoptés les codes vestimentaires, ils n’en demeurent pas moins très critiques à l’égard de la politique étrangère américaine. Un paradoxe ? Pas tout à fait.
Samedi 3 septembre. 11H. La maison des associations, place George Braque, La Courneuve. Didine, 27 ans, professeur des écoles et animateur au sein de l’association Ar-Jeux prépare, ciseaux et papiers à la main, la rentrée. Amel, 17 ans, terminale STSS ; Ghaïna, 13 ans, 3ème ; Farinès, 14 ans, 3ème l’entourent. A quelques jours de la dixième commémoration des attentats du 11 septembre aux Etats-Unis, l’occasion est prise pour les interroger sur leur sentiment sur cet évènement. Leurs réponses sont sans détour. « Pour moi, ce n’est pas un évènement important, attaque Amel. Ça ne me touche pas. » Ghaïna est plus direct : « Je m’en fous ! » Même si en 2001, comme d’autres de leurs camarades, ils ont participé à une minute de silence collective à la demande de leur professeur. « Tous ne l’ont pas fait. Moi, je l’ai fait, rapporte Ghaïna. Par respect pour les morts, leurs proches, mais pas pour les Etats-Unis.»
« Mes copains rêvent d’aller en Amérique »
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ces adolescents sont loin d’être fascinés par la première puissance mondiale. « Mes copains rêvent d’aller en Amérique, mais pas moi, assure Farinès. Ils veulent toujours montrer qu’ils sont les plus forts, les meilleurs en tout, alors que ce n’est pas forcément vrai. » « Ils font la guerre aux pays musulmans, ça ne se fait pas », poursuit Ghaïna. « Dès qu’il se passe quelque chose, ils disent que ce sont les terroristes islamistes, alors que ce n’est pas toujours vrai, renchérit Amel. En vérité, ils font la guerre pour s’accaparer les richesses de ces pays. » Ceci dit, tous trois affirment sans nuance apprécier les films et la musique américaine. « Ma star préférée c’est Beyoncé » confirme Ghaïna. Amel approuve d’un signe de tête. Pour Farinès, c’est Lil Wayne. « Il faut l’avouer côté cinéma ou musique, c’est bien ce qu’ils font», concède Amel. Même leur style vestimentaire est directement inspiré des dernières tendances urbaines américaines. Un paradoxe ? Pas vraiment explique Didine qui a l’habitude de côtoyer ces jeunes. Lui est ouvertement anti-américain. « Pas contre le peuple américain mais contre les gouvernements américains, que ce soit Bush ou Obama même si on a tous, moi le premier, été berné par l’élection du premier président noir, mais cela n’a servi qu’à nous manipuler davantage. » Aussi, s’il observe que les enfants des quartiers populaires semblent tous sous haute influence culturelle américaine, c’est souvent par défaut. « Par exemple, beaucoup de jeunes aujourd’hui portent leur pantalon très bas, laissant apparaître leur caleçon, ignorant que cette mode reprise par les rappeurs américains vient des prisonniers américains qui n’ont pas de ceintures et donc perdent leur pantalon ou qui cherchent à se distinguer des prisonniers blancs. »
Une culture américaine plus populaire
Des rappeurs que ces jeunes voient régulièrement à la télévision, alors que d’autres vecteurs culturels n’arrivent pas jusqu’aux quartiers populaires. « Forcément, dans nos quartiers, on est tous influencé par la culture américaine plus populaire qu’une certaine culture plus chic. » Moins accessible à ces jeunes. Membre du collectif Génération engagé, il n’a pas manqué d’observer les opérations de séduction entreprises par l’ambassade des Etats-Unis vers les banlieues d’Île-de-France, alors même que les autorités françaises peinent à trouver des solutions à la crise de ces zones. « Les Américains ont un train d’avance par rapport aux Français ! Ce qui me marque toujours c’est le sentiment de patriotisme très important que l’on va trouver chez des noirs américains alors que dans nos quartiers on a toujours beaucoup de mal à faire dire aux jeunes qu’ils sont français. » Pour Ghaïna, les Américains n’ont rien à faire dans les banlieues françaises. « Cela ne les regarde pas. Ils ont des problèmes dans leurs quartiers aussi, ils feraient mieux de s’en occuper ! » Par contre, leur présence pourrait avoir un effet positif sur les autorités françaises : « A force de voir les Américains s’intéresser aux banlieues ils vont être jaloux et ça va peut-être les amener à s’impliquer davantage… »
En attendant, si l’ambassade des Etats-Unis à Paris les invite demain en Amérique, acceptent-ils ? « Non ! », assure Farinès. » Idem pour Amel. Didine préfèrerait un séjour au Mali. « Moi, j’y vais, tranche Ghaïna, pour faire du shopping, parce que là-bas les magasins sont moins chers. » Puis, elle se ravise et déclare : « Non, en fait je n’irais pas parce que je n’ai pas envie de me faire acheter. Si je dois aller aux Etats-Unis, ce sera avec mon propre argent ! »
Dounia Ben Mohamed