
Hip hop made in USA, hip hop made in France : le maître et l’élève

Les Etats-Unis ont d’abord « conquis » les banlieues culturellement, « par le bas », à travers leur illustre subculture. Dans l’ombre de son grand frère américain à ses débuts, le hip hop français a acquis progressivement ses lettres de noblesse et son autonomie dans les quartiers populaires de l’Hexagone. Comment ? Souvenirs et Etat des lieux avec DJ FAB*, DJ de référence de la scène underground frenchy, et fin connaisseur de la scène underground US dont il fait régulièrement profiter le public français à travers sa structure Hip Hop Resistance.
I love NY
Au tournant des années 90, avant que le style de vie hip hop ne soit adopté par la base des quartiers, quand internet n’était encore qu’un projet avant-gardiste, les pionniers de cette culture en France étaient ceux qui pouvait faire le voyage à New York pour ramener précieusement les dernières tendances, sons, sapes etc. Il y a ceux qui, d’un milieu aisé, pouvaient s’offrir le billet et le séjour, et ceux qui avaient de la famille à visiter aux Etats-Unis. A l’instar d’Akhenaton qui s’est initié au Hip-Hop en rendant visite à ses cousins italiens de New-York, Fab faisait régulièrement le voyage pour voir son père résidant aux states. «Mon père est là-bas ; ce qui était bien, c’est que déjà dans les années 80-90, j’y allais régulièrement, je voyais beaucoup de choses, je revenais, je ramenais des nouveautés. J’étais un peu le père Noël à mon retour. C’est quelque chose que je ne mets pas trop en avant parce qu’aujourd’hui c’est un peu plus facile à dire, mais à l’époque des gens pensaient que j’étais un peu bourgeois. Alors que pas du tout, au contraire, j’avais un parent qui étais là-bas, c’est tout. Ca m’a beaucoup apporté, ça m’a aidé à voir des choses un peu plus en amont que d’autres personnes et peut-être des choses que d’autres personnes n’ont jamais vues ici. (…) Si t’avais la chance de pouvoir acheter un billet pour aller à New York c’était un plus. Ou alors de comprendre un peu l’anglais pour comprendre ce qui se dit… c’était un avantage pour saisir vraiment le sens de cette culture. »
La langue pouvait être un obstacle, mais pas insurmontable, la première difficulté étant l’accès à cette culture émergente. « A mon époque les choses arrivaient à petites doses. Les sons, il fallait les chercher. Moi je ramenais des cassettes audio, des cassettes vidéo parce que le must c’était [l’émission] Yo MTV Rap ! Puis dès que t’avais un disque, tu regardais la pochette, comment les mecs étaient habillés et si t’arrivais à avoir un Kangol et des Phat laces et que t’arrivais un peu à leur ressembler, c’était Waou ! Tu marchais dans la rue, t’étais un Alien ! ». Les dernière tendances américaines, en termes de son, de technique, de style lyrical ou vestimentaire mettaient alors quelques années à traverser l’Atlantique. La démocratisation d’internet et le haut débit vont changer la donne. « Faut voir qu’aujourd’hui avec Internet t’as tout en un clic (…) Tu cliques, tu google, tu mets le nom de quelqu’un, il apparait, hop tu vois deux-trois vidéos… Aujourd’hui il n’y a plus de retard, tout ce qui sort aux Etats-Unis on l’a tout de suite, tu vois les jeunes, ils s’habillent comme les américains. Et puis même aujourd’hui les gars ont leur propre style, ils essayent de moins copier, d’avoir leur variante à eux. »
Parlez-vous français ?
Son propre style. Essentiel dans une culture où la posture du Bboy est avant tout affaire de style, que ce soit dans la pratique des 4 disciplines (MCing, DJing, Danse et Graffiti) ou dans le mode de vie. Comment les Bboys français se sont démarqués de leurs compères américains ? Des artistes qui ont connu le succès commercial et la légitimité dans les quartiers comme le 113 ou Rohff n’ont ils pas développé une identité davantage « rap français » que hip hop ? Le constat de Fab est nuancé : « Je pense qu’au démarrage ils étaient dans cette culture hip hop ; ils ont été influencés par les américains à petites doses. Ils ont leurs classiques qu’ils connaissent bien. Mais après ils n’en ont plus besoin, ils se sont recentrés sur eux-mêmes en se disant « avec notre propre langue qui est le français, on peut faire quelque chose et avoir notre propre histoire ». Ils ne veulent plus se tourner vers les Américains parce que ça ne leur parle plus ou parce qu’ils ne comprennent pas. Ils peuvent créer leur propre monde par eux-mêmes dans leurs cités en disant « ben voilà, on n’a plus besoin d’aller aux Etats-Unis, on a la même chose », ce qui est vrai. Si t’as envie de vivre la culture hip hop tu peux rester ici. »
Et la culture des origines, africaines ou Nord-africaines, dans tout ça ? « Ca a été la richesse de l’Europe et de la France par rapport aux Etats-Unis. Eux ils ont mis du temps à y arriver. Aujourd’hui, à New York, t’as un quartier sénégalais. Avant, t’allais voir un mec à Brooklyn, tu lui disais « d’où tu viens, d’origine ? » Il te disait Brooklyn, Mais ça n’avait pas de sens. « Non mais d’où tu viens ? » Ben peut-être que ma mère est jamaïcaine, mon père africain. Ils y en avait qui n’avaient même pas l’idée de se dire « j’ai des origines africaines ou d’Afrique du Nord », c’était trop loin pour eux. Culturellement parlant ça a été un avantage bien européen et bien français, qui a fait qu’à un moment les américains ont été jaloux de la France. Parce qu’il y a avait ces racines. Après, bien sûr qu’il y a eu des groupes dans ce délire… « afrocentrique ». Mais eux, à la base, il a fallu qu’ils fassent des recherches sur d’où ils venaient. ».
La fin du tête-à-tête
L’époque où seul Paris et à la rigueur Marseille semblaient tenir la dragée haute à la « Grosse pomme » en matière de hip hop est révolue. Pour le hip hop aussi, la « géopolitique » est multipolaire. Fab rentre d’une tournée dans les pays de l’Est. Le rap de la Sunbelt du sud des Etats-Unis a pris la relève sur New-York et, en matière de rap aussi, le mur de Berlin est tombé depuis longtemps. « Au moment où en France les gens se sont un peu lassés des classiques, dans les pays de l’Est ils en sont encore à ça, à cette base qu’on appelle du vrai hip hop ». La France ne serait plus numéro 2 du hip hop mondial ? « Ouais on l’a beaucoup dit, je pense qu’il y a des gens qui se sont assis là-dessus. L’Allemagne a pris beaucoup d’avance par exemple. C’est vrai qu’à un moment en France on est devenu champions du monde. Que ce soit en DJing, en danse en graffiti. Aujourd’hui, un DJ américain, il crie dans le micro, il n’a plus de technique. Il n’y a qu’en rap qu’on n’est pas au point. » En effet, en plus de la crise du disque qui touche tous les genres musicaux, le Dj expérimenté diagnostique un manque de renouvellement de la scène hip hop française. « Le vrai problème du rap français c’est cette complainte, « moi je galère », tout le temps de la revendication un peu barbare. Bien sûr que dans les quartiers les conditions sont dures… Ce rap monocorde… il y en a qui l’ont bien fait comme Lunatic, mais le reste c’était de pâles copies où lyriquement il n’y a plus de flow, de technique, de métaphores. Il y a des mecs qui ont de la technique, mais ils ne vendent pas d’albums. Il y 4 ou 5 artistes qui vivent du rap français et le reste, au revoir ! Pour moi le rap français est dans une phase « basse » ». Les fans ne devraient pas se désespérer pour autant, le hip hop ayant montré qu’il est bien plus qu’une mode, et qu’il sait toujours se réinventer.
Yannis Tsikalakis
* Après avoir beaucoup tourné DJ Fab monte Hip Hop Resistance à la fin des années 90 avec son ami Awer. Dans le même temps il collabore à l’émission The Connection de l’américain Lord Jazz sur Générations 88.2 qu’il reprendra sous le nom d’Underground explorer. Le décès d’Awer en 2009 mettra en émoi la communauté hip hop française.