La françamérique et la françafrique du rap

Le 09-09-2011
Par xadmin

De culture locale (les paysages dévastés du South Bronx à la fin des années 70), le rap s’est métamorphosé en culture mondiale au début des années 80. Dans ce décor, la France constituait, juste après les Etats Unis, le deuxième marché en terme de vente de disques de rap en 2007 (plus d’un million et demi de disques vendus).

Le hip-hop français existe-t-il ?
D’abord perçu par les grands frères américains comme gentiment exotique, notamment avec le succès de MC Solaar, le rap français acquiert pourtant rapidement une crédibilité au pays de l’Oncle Sam. D’autant que des groupes historiques comme IAM ou NTM collaborent avec les plus gros artistes rap américains. Le rappeur Squat, d’Assassin, frère de Vincent Cassel, acteur français parti à la conquête d’Hollywood (et lui-même passionné de rap !), est perçu aux Etats-unis comme dépositaire d’une véritable tradition militante européenne. Dès lors, il est invité à collaborer avec des groupes proches des milieux intellectuels de la Renaissance Noire, des Native Américans. Mais la spécificité du rap français tient plus à l’enracinement communautaire d’une grande partie des acteurs de la scène : majoritairement originaires du Maghreb et d’Afrique sub-saharienne, les rappeurs français n’ont de cesse d’interroger leurs origines, de questionner leur identité. C’est cette quête qui a poussé Jonone, comme Miles Davis ou James Baldwin jadis, à quitter les États-Unis pour la France. En 1987, ce jeune artiste graffeur américain ressent le besoin de s’expatrier pour faire progresser son art. « Je viens de New-York, qui est le berceau du graffiti, mais lorsque j’ai vu des photos de ce qui se faisait à l’époque en France, j’ai tout de suite su que pour moi, c’était the place to be. Les américains sont précurseurs sans doute, mais le style français est si varié, si créatif… La France, peut-être grâce à sa position géographique, était à la convergence des styles et des techniques des graffeurs européens. Et c’est encore ici que sont nées les mosaïques de Space Invader et les photos grand format de JR qui ornent désormais les murs du monde entier », de Clichy jusqu’en Israël. C’est aussi ici qu’est né en 2002 Kosmopolite, le festival international de graffiti et d’art urbain. Des graffeurs brésiliens, suédois ou américains performent ainsi ensemble sur des murs dédiés, en plein centre ville. Quant aux stylistes français, ils s’exportent plutôt bien, parés des préjugés positifs envers la mode française. Avec pour credo un « art chic venu de la rue » ou « ghetto chic », Xuly Bet, comme Marithé et François Girbaud, s’imposent durablement sur le marché du streetwear urbain. Leur succès passe par New York, L.A. et Dakar. Quant à Papou, jeune débrouillard d’Ivry Sur Seine qui a créé la marque African Armure, on croise son célèbre logo « Mafiak’1 Fry » dans toutes les rues d’Afrique, d’Alger à Conakry. Récemment, Papou a trouvé des débouchés pour sa marque à New York et Tokyo.

Jeter des ponts par dessus la Méditerranée
Car là où les afro-américains sont dans la posture, une quête artificielle de la « terre-mère », qui est plus un argument marketing qu’une réelle volonté d’envisager un retour physique au pays (alors que les Latinos explorent leur héritage à longueur de disque), les Français sont dans l’échange, l’imbrication. Le Secteur A (Passi, Stomy Bugsy, Doc Gyneco…) crée le Bisso Na Bisso, un collectif d’artistes dont la mission est de jeter un pont avec les plus grands musiciens d’Afrique de l’Ouest ; Disiz la Peste opère un retour aux sources en enregistrant un album au Sénégal (l’auteur du disque « Jeune de Banlieue » en profite même pour y créer sa propre entreprise de textile, basé sur le principe du commerce équitable). De son côté, le rappeur Pyroman est mandaté par le ministère des Affaires Étrangères pour faire connaître la culture urbaine française en Afrique et au Brésil. La rappeuse alter mondialiste Keny Arkana vient quant à elle de terminer un documentaire entre Paris, Porto Allegre, Bamako et Buenos Aires. Elle y réaffirme sa conviction que le rap constitue une véritable passerelle entre les différentes cultures. Rim-K, du groupe populaire 113, se fend d’un tube planétaire, « Tonton du Bled », titre fédérateur qui rappelle les liens intimes unissant l’Algérie et la France. « Tonton du Bled, c’est un peu un appel à l’unité de toutes les banlieues du monde », explique Rim-K. « Au-delà du côté un peu folklo, je voulais montrer la richesse d’une double culture, la fierté de nos origines et le côté multiculturel de la jeunesse de France. Tonton du Bled a cartonné dans les pays du Maghreb, jusqu’au Mali et au Sénégal, c’était comme un trait d’union entre les jeunes d’Afrique et d’Europe ». Le succès de ce titre des deux côtés de la Méditerranée est emblématique d’une certaine fraternité, et d’une autre définition de la double nationalité.

Incompréhension ici, succès là-bas
Pourtant, avec les émeutes urbaines de 2005, l’imagerie romantique véhiculée par des films comme « Amélie Poulain » ou « La Môme » en prennent un sacré coup : le mythe d’une France éternelle, mono culturelle, a vécu. La France « terre d’accueil culturel » a ainsi ses contre-exemples : les membres du groupe Les Nubians savent que nul n’est prophète en son pays. « En France, on a vendu 60 000 copies du premier album, ce qui est bien pour un groupe soul. Ce qui a été inattendu, c’est notre succès outre-Atlantique. Qu’un groupe qui chante en Français vende presque 500 000 exemplaires (en comptant nos deux albums), ça ne s’était jamais vu. En France, on a été considéré par les médias comme « trop segmentant » lorsque l’on parlait de notre identité noire, métisse, « afropéenne », alors que les pays anglo-saxons nous ont accueillis à bras ouverts. Nous avons persisté dans l’ouverture avec le projet Echoes, qui présente sur livret et CD des poètes américains et français. La compréhension se fait par le sens des mots mais aussi par celui de la musique. On nous a fait remarquer que le style français se distinguait du spoken word américain par les thèmes abordés, par l’écriture. Verlaine ne déclamait pas ses poèmes. La poésie urbaine américaine possède une culture musicale en plus, et cela aide à l’interprétation ».

Un nouvel esperanto ?
Le rap n’est ni plus ni moins qu’un langage universel. Pour Rocca, artiste colombien vivant entre Paris et New York, cet art a réussi là ou l’esperanto a échoué. Dans les pays du Maghreb et d’Afrique de l’Ouest, les rappeurs s’inspirent des Français pour lancer les bases d’une nouvelle culture vivante qui s’adapte aux délicats équilibres de la tradition et de la modernité. Ironiquement, c’est le rap, culture moderne et occidentale par essence, qui défend, ici, souvent, les traditions culturelles locales. Les rappeurs en boubou pullulent à Paris, et les rappeurs en baggy ou arborant des logos américains sont légion à Dakar. Par ailleurs, de jeunes réalisateurs de talent épris de culture hip hop, l’équipe déjantée et iconoclaste de Kourtrajmé, ont même ouvert une section en Afrique de l’Ouest, qui a pour nom Toucos : il s’agit avant tout de rassembler une jeunesse qui partage les mêmes valeurs, les mêmes doutes, les mêmes espoirs. Car les pérégrinations des rappeurs ramènent toujours, au final, à la recherche de cette substantifique moelle qu’est la quête identitaire. On s’exprime en effet en rap, en danse ou en graff, pour dire qui l’on est mais aussi pour tenter de le découvrir.

Max Lebon et Karim Madani / Ressources Urbaines
 

Article paru en mai 2008 dans « Cultures France Monde », publication du Ministère des Affaires Etrangères publié à l’occasion de la manifestation « Diversité hors les murs », à Saint-Denis.
 

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