Tunisie : Les révolutions au féminin

Le 26-08-2011
Par xadmin

Les femmes tunisiennes sont souvent considérées comme les plus libres du monde arabe. Cela est dû à l’instauration du Code du Statut Personnel (CSP) par Habib Bourguiba en 1956. Ce code était censé promouvoir l’égalité des sexes en abolissant la polygamie et le mariage non consenti, ou en autorisant le divorce et l’avortement. Mais à côté de ces avancées juridiques réelles, qu’en est-il du quotidien des femmes en Tunisie ? Dans un pays soumis au colonialisme puis à la dictature, nous nous interrogeons sur la place possible laissée aux luttes des femmes. Existe-il un féminisme spécifiquement tunisien ? Nous avons rencontré des femmes qui luttent avec courage, fierté et intelligence.



© Claire Malen
 

Nous l’avions perçu à travers les médias : les femmes étaient particulièrement présentes durant la révolution tunisienne. Cette impression est confirmée sur place. Au local de l’Union Générale des Travailleurs de Tunisie, Wassila Ayacha, l’une des rares femmes à avoir un poste syndical à responsabilité, nous présente Sonia. Cette ouvrière qualifiée de 32 ans a créé son propre syndicat juste avant la Révolution. « Mon entreprise embauche 90% de femmes. Les sociétés françaises recrutent des femmes parce qu’elles pensent que les tunisiennes ne demanderont rien. » Son parcours de déléguée syndicale dans une entreprise française de sous-traitance d’Airbus a été un calvaire. Constamment surveillée et malmenée par les responsables, elle est interdite de travail durant 15 jours et menacée de licenciement. Elle s’en sort grâce au soutien de ses camarades et de l’UGTT. Le 14 janvier elle tient les barricades dans la banlieue de Tunis toute la nuit avant de reprendre son travail le lendemain. Amira, 24 ans, est étudiante ingénieure et fondatrice de l’Organisation Tunisienne de Citoyenneté. Sa participation à la révolution lui paraissait nécessaire. « Je ne voulais pas rester passive. J’étais chaque jour à Tunis dans les manifestations encerclées par les policiers. » Elle participe également aux sit-in place de la Casbah : « On discutait jusqu’au matin de démocratie, d’économie, de socialisme, de communisme… ». Quid du féminisme ? « Le féminisme doit rester mixte pour être plus efficace: il faut imposer la parité dans les organisations. » Une première victoire des féministes tunisiennes qui ont imposé la parité à la Haute Instance de Protection de la Révolution et dans la future Constituante…
 

Pourtant, il n’est pas facile d’être née femme en Tunisie. Amira a du se battre pour imposer à ses parents son choix d’études considérées comme réservées aux garçons. Elle a vécu en couple sans être mariée mais cela n’a pu être possible que parce qu’elle étudiait loin de la maison parentale. Elle a plusieurs fois été prise à partie par les islamistes locaux du fait de son mode de vie et de ses idées politiques. Bien que la contraception soit accessible facilement, la liberté sexuelle des femmes reste un luxe. Les Tunisiennes se marient jeunes et les hommes les exigent vierges et fidèles malgré l’interdiction officielle du certificat de virginité. Sonia est révoltée : « La femme tunisienne est traitée parfois comme un meuble. Elle doit rester à la maison, se marier, avoir des enfants, ne pas parler devant l’homme, elle ne peut pas diriger un groupe, doit porter le voile… » - énumère-t-elle devant son amie Mounia qui elle a choisit de porter le voile. En même temps « la situation de la femme change en Tunisie : elle termine ses études, peut choisir son mari, dire non, sortir au café, aller à la plage ». Lasses de subir le harcèlement sexuel au travail, Loubna et sa sœur Souad ont créé leur propre entreprise de formation à Tebourba, un bourg agricole du nord-est. Témoins de la corruption dans leur ville, elles ont naturellement participé à la Révolution. Ces deux jeunes femmes diplômées du supérieur, considèrent plutôt le mariage comme un obstacle à leur activité. Maintenant qu’elles ont acquis leur indépendance elles ne se voient pas rentrer au foyer. La Révolution est en marche, les Tunisiennes non plus ne reviendront jamais « avant le 14 janvier ».
 

Néanmoins, la lutte des femmes existait bien avant la révolution. A l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD), créée en 1989 dans la quasi clandestinité, règne une grande émulation. Meriem, 35 ans et adhérente de longue date, nous raconte avec fierté le rôle de sa grand-mère, fondatrice du mouvement féministe autonome au sein du PC : « Le mouvement féministe autonome tunisien a démarré fin des années 60. Les femmes étaient influencées par les idées de l’occident à travers les lectures. Lors de l’indépendance, toutes ces questions étaient dans l’air, on discutait beaucoup. C’était un mouvement universel. » Meriem souligne le rôle de l’écrivain et militante féministe égyptienne Nawal El Saadawi, très influente dans le monde arabe. Nous remarquons l’importance des liens existant dans tout le Maghreb et le Machrek lorsqu’elle cite les actions menées avec les féministes marocaines ou l’iranienne Chala Chafiq. Le modèle d’Amira serait plutôt Salia Ben Achour, fondatrice de l’ATFD et actrice féministe qui veut toucher par son art les femmes les plus modestes. Elle nous fait part de ses discussions avec ses amies parties faire des études en France. « C’est vrai que là-bas, elles sont libres et ne se font pas insulter. Dans les relations filles/garçons, le positif est qu’il n’y a pas de préjugés, tu sors avec qui tu veux. Mais à l’inverse, les relations sont un peu froides, il y a un manque de solidarité, un individualisme. La fille ne peut pas compter sur le garçon. »
 

Il semblerait que les ponts entre féministes occidentales et orientales soient plutôt ténus. Les liens s’avèrent davantage horizontaux (pays arabes) que verticaux (l’occident). Aujourd’hui, malgré la Révolution, le combat des femmes tunisiennes pour l’égalité est nécessaire. De plus, il leur reste à construire des liens avec les femmes des couches populaires.
 

Claire Malen et Monika Karbowska

http://deuxsemainesentunisie.blogspot.com
 

Participez à la réunion de rédaction ! Abonnez-vous pour recevoir nos éditions, participer aux choix des prochains dossiers, commenter, partager,...