
Sokona Niakhaté, une jeune femme « Nord-Sud »

Par où commencer ? La trentaine à peine entammée, cette jeune fontenaysienne d'origine malienne a déjà vécu bien des vies associatives, sur les pas d’une mère elle aussi militante associative. Elle navigue entre deux continents, entre une kyrielle de structures et de fonctions.
Elle nous reçoit dans un grand local inter-associatif haut en couleurs à deux pas de la gare du val de Fontenay (Fontenay-sous-bois). La jeune élue en charge de la Coopération décentralisée, de la diversité et de l'inter-culturalité (tout un programme !), y a installé dans sa ville l'une des associations qui tissent le fil de sa vie, Niaso Event. Sa délégation municipale reflète à la fois la pluralité et la cohérence de ses activités, et de sa personnalité intarissable. La compétence revient souvent dans sa bouche, elle qui ne s'est pas éternisée dans les études, mais a néanmoins su rapidement faire reconnaître sa valeur et attirer les compétences à elle : « Je ne voulais pas être la caution diversité, on nous enferme trop là-dedans. Et on accepte trop de se faire enfermer. » Et de tempérer de suite : « Même si c'est utile pour se faire connaître. Mais il faut que ce soit basé sur de la compétence et du concret : beaucoup ne sont même pas capables de monter une association et de construire des projets pour leur quartier ! » Et de reconnaître : « Nous, on a été accompagné pour cela » Et pas par n'importe qui : l'ARDEVA (Association régionale pour le développement de la vie associative), qui leur a tout de suite permis d'accéder à des fonds européens, ce qui est rarissime pour une association de quartier naissante. Le tout grâce à un projet basé sur le commerce équitable, avec des petits producteurs de coton, des centres de formations et des associations de femmes au Mali. Et c'est là que tout un projet de vie prend son sens.
Famille de voyageurs et de commerçant
En effet l'association, qui mène des activités des plus variées (couture, échanges inter-culturels, mannequinât, danse, aide aux devoirs, aide à la parentalité, projets de solidarité internationale...) est le prolongement de sa personnalité. Certes, pour elle, les projets de solidarité avec l'Afrique sont nés après 2006, suite au forum de la jeunesse franco-africaine (avec l'INJEP, la Fédération Léo Lagrange pour structures parrains et des structures de jeune européens ). Une rencontre qui l'a « blindée » assure-t-elle, puisqu’elle y travailla « avec des centaines de jeunes, de l'étudiant au délinquant, du salarié, à l’entrepreneur, pour certains incapables de comprendre leurs liens avec le pays d'origine »! Mais une rencontre fondatrice, qui lui permet de renouer avec son identité : « Mon père appartient à une famille de cultivateurs de coton et de tisserands, c’était un commerçant qui voyageait pour vendre ses produits. » Aînée d'une fratrie de treize enfants, « on ne pouvait pas s'acheter tout en magasin. Depuis que j'ai douze ans, je couds. On devait mettre la main à la pâte. C'était un jeu, c'est resté un loisir, mais ça m'a appris. J'ai vu mon père tisser. Il nous a montré sur un vieux métier traditionnel. »
L'Eldorado ça n'existe pas
Non contente d'être dorénavant l'une des membres du Conseil consultatif qui donne ses avis sur les dossiers de co-développement avec l'Afrique présentés au Fonds social prioritaire (dispositif malien et européen), elle co-organise aussi la Quinzaine de la solidarité, qui est passée depuis 2008 de neuf à trente associations partenaires, ou encore des formations mode et stylisme au Mali, comme en 2007. Car son travail actuel, le stylisme, dans une entreprise d'événementiel reste le fil conducteur de son parcours, qui a croisé celui d'une couturière retraitée de chez Dior, elle-même formatrice au sein de son ancien comité d'entreprise, dans la puériculture. Cette couturière qui a « complété [son] savoir-faire, y compris sur l'histoire de la couture et l’art français. » Mais cette activité est aussi pour elle « une manière de rendre à nos mères ce qu'elles nous ont appris, leur savoir faire, leur culture, leur solidarité ». Elle sait de quoi elle parle : « Ma famille m'a aidée à démarrer, comme mes amies, qui m'ont acheté ma première machine. Les tontines, ça m'a beaucoup aidée, en attendant les financements publics du FSE ! » Pourtant, ces tontines ne sont plus ce qu'elles étaient : « Ici, les gens sont dans la survie. Les tontines, c'est quand ils ont encore les moyens. Il y a de moins en moins de solidarité, d'entraide des femmes et de plus en plus de difficultés. » C'est pour ça, jure-t-elle, qu'elle n'est pas trop favorable à faire venir des jeunes africains en France grâce à ses projets : « L'Eldorado, ça n'existe pas. L'immigration est un fléau pour l'Afrique, et c'est nous, la diaspora des enfants de l'immigration, les meilleurs médiateurs pour dire ça ».
Tissage de liens
Sokona se rend régulièrement au Mali, vers Bamako ou Ségou, où se trouvent ses partenaires. Y compris pour accompagner des jeunes français qui veulent s'y installer, en particulier des chômeurs, mais aussi des retraités. Mais son action ne se limite pas à ça : avec d'autres jeunes, elle participe a la construction du FOJIM (Forum de la jeunesse issue des migrations), cellule jeunesse du FORIM (Forum des organisations de solidarité internationale issues des migrations) de leurs parents. « Le lien avec les pays d'origine est différent de celui de nos parents, plaide Sokona. Ils sont beaucoup sur la solidarité avec les familles de là-bas. Mais il faut être réaliste : notre génération ne pourra pas suivre. On a des impôts, des projets ici à payer. Pour nous, la solidarité est plus globale. Pour eux, c'était la génération des puits, des centres de santé, gérés par des associations communautaires de migrants. Nous, ça sera sans doute plus géré par les Etats. Mais il y a un risque de rupture. Qui prendra le relais de nos parents ? » Reste une leçon fondamentale : « La relation Nord-Sud ne se fera plus sans les enfants d'ici. »
Erwan Ruty