Retour à AZF, ou comment les risques industriels menacent d’abord les quartiers populaires…

Le 16-06-2011
Par xadmin

Toulouse, usine AZF, le 21 septembre 2001: 30 morts, 2 500 blessés et de nombreux bâtiments et logements détruits, partout dans l'agglomération, en particulier dans les quartiers populaires du Mirail et d'Empalot. Lorsque l'usine AZF (AZote Fertilisants) est construite, elle s'appelle Office National Industriel de l'Azote. C'était en 1924 et à cette époque, le site semblait suffisamment éloigné du centre ville tout en permettant à l'installation de bénéficier de la force hydraulique de la Garonne. Depuis 1666 et l'installation des Moulins à Poudre Royaux, la dangerosité des sites touchant à la chimie était bien connu des riverains, puisque pas moins de huit explosions meurtrières avaient eu lieu avant 1924.

AZF : Accident en Zone de Faillites
Mitoyenne à l'usine AZF, la Société Nationale des Poudres et Explosifs, dépendant du ministère de la défense, était chargée de la production du phosgène, un gaz meurtrier utilisé pendant la première guerre mondiale. Lorsque la production est arrêtée dans les années 20, il reste, selon les estimations, entre 5000 et 4000 tonnes de gaz à stocker. Composé de sodium, le gaz menace d'exploser au contact de l'air. Les autorités prennent alors la décision de déposer les ballastières chargées de gaz au fond de la Garonne. Peu à peu, l'agglomération rattrape le site et l'enserre. Après-guerre, lorsque sortent de terre les premiers grands ensembles, il s'agit de trouver de grands espaces en friche au prix d'achat peu élevé et reliés au bassin d'emploi ouvrier. C'est ainsi que les quartiers du Mirail et d'Empalot seront construits au sud-est de Toulouse.

Des risques encore présents
Le site d'AZF est aujourd’hui la propriété de la mairie qui l'a racheté à Total pour un euro symbolique. Il est consacré à un grand centre de recherche contre le cancer, l'Oncopôle. La SNPE produit désormais le carburant de la fusée Ariane. Revers de la concentration des activités liées à l'aéronautique à Toulouse : les associations locales n'ont pu obtenir la fermeture de ce site encore considéré comme dangereux, comme l'explique Salah Amokrane, de l’association Les Motivé-e-s. De plus, le statu quo règne quant à la gestion des ballastières de phosgène. De nombreuses associations écologistes, dont les Enfants de la Terre, ont d'ailleurs dénoncé le fait qu'en période d'étiage, le court de la Garonne, au plus-bas, risquait de ne plus recouvrir intégralement les structures. Mais pour les autorités, l'énormité du coût d'un retraitement empêche la moindre initiative…

Et les habitants dans tout ça?
Du temps de l'ancienne majorité (UDF puis UMP) à la mairie, un grand projet devait déconcentrer la ville vers la campagne. Il était prévu de détruire 2000 logements pour n'en reconstruire que 700. La cité du Parc, en bordure du Mirail, était entre autres concernée. Selon Jean-François Grelier, ancien propriétaire au sein de cette résidence, le quartier était composé d'un tiers de propriétaires occupants et de deux tiers de propriétaires bailleurs – des appartements loués par des sociétés privés à des populations désargentées, mais néanmoins soumises à des loyers supérieurs à ceux pratiqués en HLM (700 euros pour un T4), précise M. Grelier. La copropriété était naturellement opposée à la destruction.

Le jour même de l'explosion d'AZF, à 19h00 – huit heures après l’explosion – un décret est publié interdisant à l'habitation le bâtiment B de la résidence, du fait des dégâts. En un temps record, les forces publiques expulsent les habitants et prennent en charge la surveillance du lieu, les empêchant d'y revenir. Le traumatisme est immense. Logé dans ce fameux bâtiment B, Jean-François Grelier apprend la nouvelle depuis l'hôpital où il est soigné pour des blessures liées à l’explosion. Dans l'urgence, on reloge les habitants dans des centres d'hébergements provisoires et des mobil-homes.

Pour défendre les sinistrés, Jean-François Grelier crée le collectif des Sans Fenêtres, qui représente les 5000 personnes souffrant du froid à l'arrivée de l'hiver. Il organise avec le mouvement des Motivé-e-s un meeting sous chapiteau le 2 novembre 2001. La médiatisation de l'évènement permet au collectif d'engager un rapport de force avec la mairie et Total. Il obtient la mise en place de contre-plaqués équipés de plexiglas afin d'isoler tant bien que mal les habitations. Le surcoût de chauffage est réglé par Total, et la mairie accepte, pour ceux qui en font la demande, d'accorder la gratuité de la taxe foncière.

«Ici, rien n'est réglé »
Alors que la mairie souhaite voir les bâtiments détruits, une réunion de copropriété vote les travaux de réparation. Après deux mois de délai, une telle décision est normalement irrévocable. Pourtant, un an après, sous la pression de la municipalité, le syndic convoque une nouvelle réunion. Objectif : la destruction. Un référé est déposé par le collectif, mais le recours est rejeté, sans justification, si ce n'est le fait que les appartements sont jugés irrécupérables. La mairie propose 33 000 euros d’indemnités pour 75m² si la copropriété vote la destruction. Jean-François Grelier avertit le collectif qu'un tel vote entraînerait la prise en charge de la destruction par la copropriété, mais dans la panique générale, le vote a lieu. Le pire se vérifie: le coût de la destruction est supérieur aux indemnités...

En 2004, à l'occasion des trois ans de l'accident, une grande banderole de 4 m sur 30 recouvre le bâtiment B d’un message : « Trois ans après, ici, rien n'est réglé ». La démarche permet le retour des médias et de nouvelles négociations sont engagées. Le collectif lutte sans relâche, négociant avec Total euro après euro. Quelques minutes avant une nouvelle AG, Total accepte de monter à 72 500 euros le montant de ses indemnités.

Dix ans après, les anciens habitants de la Cité du Parc se sont réunis pour faire la fête ensemble, même si les blessures sont toujours là. N'ayant pas bénéficié d'une action globale de relogement, ils sont désormais dispersés aux quatre coins de la France. Mais se revoir est nécessaire à chacun. Après tant de lutte, les anciens du Parc n'hésitent pas à dire qu'ils s'aiment.

Eddy Maaroufi
 

http://azf-assodessinistres.org/accueil.php
http://www.station-capitole.info/
http://www.tactikollectif.org/

 

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