
Des traditions africaines… et écolos ?

Pour certaines familles africaines, la lutte contre toute forme de gaspillage est une obsession. Eau, électricité, nourriture, vêtements, argent ? A consommer avec modération. Pour ces familles aux revenus modestes, plus que des contraintes économiques, il s’agit de respecter des traditions culturelles ou cultuelles qui préconisent le respect de l’environnement. Rencontre avec des gens à la pointe de l’écologie… sans le savoir.
« Quand j’étais petit, nous devions faire des kilomètres pour aller chercher l’eau, dans un petit lac près de mon village. » Ses souvenirs d’enfance, Fofana, Malien installé à la Courneuve depuis 1960, ne cesse de les rappeler à ces six enfants. Pour leur parler du pays dont il vient mais aussi pour leur transmettre des traditions, des valeurs. Il y en a une qui lui est particulièrement chère : le respect des richesses qu’offre la terre. A commencer par l’eau. « Quand nous sommes arrivés en France, nous avons d’abord vécu dans des foyers, puis dans des appartements. Là, nous avons eu accès à tout le confort. Mais nous avons continué à économiser l’eau. On essaie de freiner l’arrivée d’eau, de baisser la pression pour réduire la consommation. »
« C’est tous les jours la guerre ! »
Et cela vaut pour tout. Dans cette famille, qu’il s’agisse de l’eau, de l’électricité, de la nourriture ou des vêtements, toute forme de gaspillage est bannie… du moins par les parents. « Avec les enfants, poursuit l’épouse de Fofana, c’est tous les jours la guerre. Ils rentrent à toute heure, se servent à manger, sans finir leur assiette. Quand on demande qui a laissé son assiette, c’est jamais personne... Je leur dis : "Quand j’étais petite je n’avais parfois même pas un morceau de pain à manger et vous vous jetez la nourriture par la fenêtre ?! Cela ne se fait pas !" » Et le père de famille de renchérir : « Ils restent dans la salle de bain des heures, certains ne prennent que des bains, ils laissent la lumière de leur chambre allumée, ainsi que la télévision, alors qu’ils sont dans le salon... Il faut toujours être derrière eux. Certains comprennent et font attention, d’autres pas. Alors c’est la bagarre. » Parmi les plus réfractaires, Mariam, la petite dernière de la famille, 11 ans, grand sourire aux lèvres. « J’essaie de faire attention… quand j’y pense ». Reste que pour elle, si ses parents la rappellent souvent à l’ordre, tout n’est qu’histoire de gros sous. « Ils font cela pour payer moins cher leurs factures. Ce n’est pas pour protéger la planète... » Pourtant, les enfants ont été sensibilisés dès leur plus jeune âge à ces questions. A travers les vacances au pays notamment. « Quand ils vont là bas, ils se rendent compte de tout ce qui manque aux autres. Ils me disent : "Oh les pauvres, ils n’ont pas de chaussures, leurs habits sont déchirés…’’ Quand ils rentrent, ils ramassent toutes les affaires qu’ils ne portent plus et on envoie des cartons au Mali. »
« On ne gaspille pas »
Maïga Arboncana, Malien également, en France depuis plus d’une soixantaine d'années, organisait ce type de séjour pour les adolescents qu’il accueille au sein de son association Arc Jeux à la Courneuve. « Au départ, quand ils arrivaient, ils cherchaient les Macdo et Leader Price, ils se plaignaient de l’absence de télé, d’électricité, des mouches… Puis très vite, ils s’adaptaient. Ces voyages les ont profondément marqués. Cela faisait beaucoup de bien aux enfants d’un point de vue pédagogique. Mais le gouvernement a interrompu les subventions pour ce type de séjours. Nous n'avons plus les moyens de les emmener. » Ce qui n’a pas empêché « Tonton Maïga », comme l’appellent les enfants, de continuer son travail de sensibilisation. « Avec le service jeunesse, on fait régulièrement des sorties où l’on remet aux enfants des gants et des pinces pour ramasser les déchets. » Pour cet homme qui a longtemps étudié l’importance des ressources végétales, les enfants doivent être sensibilisés dès leur plus jeune âge au respect de l’environnement. « Ce sont des choses très ancrées dans les mentalités africaines. Même les familles qui vivent en France continuent à perpétuer ces traditions. On ne gaspille pas l’eau, on ne jette pas les restes à la poubelle… Ma belle-mère, quand elle est venue en France, fut choquée de voir tout ce qui finissait à la poubelle. Elle récupérait les grains de riz, les lavait et les faisait sécher pour les envoyer au pays !! Les enfants ne comprenaient pas. Il a fallu leur expliquer. C’est ce qu’on leur rappelle constamment : chez nous on ne fait pas cela. On les sensibilise. Même s’ils sont imprégnés d’une autre culture - qu’on le veuille ou pas : celle du gaspillage. »
L’écologie, ça dépend aussi des moyens
Selon lui, un autre facteur joue un rôle essentiel dans leur orientation écologique : la religion. « Pour nous Africains, du nord comme du sud du Sahara, il y a un élément très important qui fait qu’on ne gaspille pas, l’eau surtout, c’est l’Islam. Notre religion interdit le gaspillage. Même pendant les ablutions, l’eau ne doit pas couler à flot. Mon fils, qui est très pratiquant, le rappelle sans cesse à ses copains. Nous avons été éduqués ainsi, et nous avons donc éduqué nos enfants de la même manière. » Il peut ainsi se réjouir de voir son travail porter ses fruits. Jusqu’à rappeler les anciens à l’ordre, parfois. « Aujourd’hui ma petite fille qui a cinq ans me dit parfois quand je fais mes ablutions : "Papi, tu gaspilles beaucoup d’eau !’’. J’ai tellement tanné mes enfants avec ces histoires qu’à leur tour ils les transmettent à leurs enfants... » Et le tri sélectif ? « Nous, on fait pas ça. On n’a pas de quoi faire. Les poubelles jaunes, on n’en a pas. Il n’y en a que pour les pavillons. Nous on a les grandes bennes vertes, où l’on jette tout en vrac. » L’écologie ça dépend, aussi, des moyens qu’on nous donne…
Dounia Ben Mohamed