La « sobriété heureuse » à la marseillaise

Le 07-06-2011
Par xadmin

La faiblesse des revenus conduit-elle systématiquement dans les rayons surclimatisés des hard-discount quand il s'agit de nourrir la famille? A Marseille, la réponse est plutôt oui. Ce qui n'empêche pas certains de se tourner vers des alternatives quand elles sont bien pensées. Et de produire de l'échange et du partage autour de la table, même sans bio...

« Le bio? Franchement, on n'en a pas connaissance chez nous. C'est cher, c'est pas dans nos revenus, on en parle même pas... » Oummi, 22 ans, a grandi à la Cité de la Busserine, au coeur des quartiers Nord de Marseille, dans le 14e arrondissement. Famille comorienne. « En fait, on va tous au même endroit, dans un magasin qui s'appelle "Destocke tout". Poisson, steack haché, tout y est moins cher. Et même maintenant qu'on vit à la Belle de Mai avec mes parents, on a le réflexe de revenir là-bas faire nos courses. »
Prix cassés, implantation sur un territoire connu et investi par la « communauté », le « Destocke tout » d'Oummi réunit toutes les conditions pour fixer la clientèle économiquement modeste des quartiers Nord de Marseille. Le revers de ces prix imbattables est connu : viande aux hormones, légumes chargés en pesticide… C'est bien souvent la malbouffe qui au rendez-vous. Mais, quitte à oublier la question certes cruciale du prix, quelles alternatives existent dans les quartiers qui permettent d’obtenir une meilleure qualité des produits ?

Non loin de la Busserine, entre les quartiers du Merlan et de Sainte Marthe. Bienvenue dans la ferme pédagogique de la Tour des Pins. Situés au coeur des cités, les douze hectares accueillent des chèvres, ânes, vaches, cochons, volailles... C'est là, à côté du local où se vendent les fromages de chèvres bio de la ferme (2 € l'unité) que l'association des Paniers de la Tour des Pins (rattachée aux PAMA, les Paniers Marseillais qui comptent 25 groupes sur la cité phocéenne) donne rendez-vous à ses adhérents tous les lundis depuis 2008. « En ce moment, nous en avons trente-cinq, explique Nicole, co-présidente de l'association. Dont beaucoup d’enseignants qui résident dans le quartier. » Et les habitants des cités voisines? « Plusieurs ont adhéré mais c'était un peu chaotique. J'ai le sentiment que le changement d'habitude – honorer un rendez-vous hebdomadaire où l'on vient chercher un panier paysan de fruits et légumes – est pour beaucoup d'entre eux, un obstacle plus important que l'argent. »
 

Lieu de passage
Un sentiment conforté par une expérience inédite à Arles. Lancée en mai 2008 au coeur du quartier Griffeuille, l'un des trois quartiers de cette ville populaire classés en ZUS, l'épicerie Solid'Arles poursuit depuis sa naissance deux objectifs: « permettre à des producteurs de vivre de leur travail et à des populations précarisées d'accéder à une nourriture de qualité », résume Sophie Bovero, chef de projet. Trois prix sont affichés sur les produits : le montant payé au producteur, le tarif normal et le tarif réduit – qui peut être de 38 à 45 % inférieur. Pour bénéficier de ce dernier, il faut être aux minima sociaux ou passer devant une commission créée expressément pour ne pas oublier les nouveaux pauvres, genre retraités précaires. « Ce n'est pas une épicerie pour pauvres, précise Sophie Bovero. Au contraire on veut de la mixité sociale ». Et ça marche. Sur les 2300 adhésions à la structure, environ 250 ménages bénéficient des tarifs réduits. Deux chiffres qui ne cessent d'augmenter depuis trois ans. Uniquement grâce à cette politique tarifaire savamment pensée et élaborée ? « Bien sûr, l'aspect financier freine l'accès à une consommation plus saine mais pas seulement, souligne-t-elle. Il y a de vrais obstacles de cultures, d'habitudes. C'est pourquoi nous menons aussi beaucoup d'activités de sensibilisation. Du coup, Solid'Arles est devenu un lieu de passage, un point de rencontre, contribuant à redynamiser le quartier... »
 

Social et culturel
Un aspect convivial qui revient systématiquement lorsque l'on évoque la question du « bien manger » dans les quartiers. « Je suis né et j'ai grandi en HLM à Font Vert, dans les quartiers Nord, raconte Soraya, 28 ans, de Marseille. Mes parents sont des paysans kabyles à l'origine. Et pour eux, il était vital d'avoir un lopin de terre à cultiver ». Son père, ouvrier, a pu bénéficier d'un jardin à la Belle de Mai. « On est sept enfants dans la famille, et ce jardin produisait la majeure partie des légumes consommés à la maison. Et c'était valorisé, on savait d'où cela venait... » Pour Soraya, l'origine sociologique, plus que nationale, explique ce rapport au potager: « C'est la mentalité paysanne ! Toutes les familles venues des villages alentours en Kabylie se débrouillent pour avoir un bout de jardin. Et on se retrouve souvent dans ces espaces, en famille, avec les voisins, les amis. »

Oummi, elle, concède que sa mère « les plantes et tout ça, elle s'en fout un peu... ». Mais elle n'oublie pas les après-midi et soirées passées dans le parc de Font Obscure au bas de la cité. « On faisait des barbecues, en famille, avec les amis, tous les enfants... Pour nous c'était le parc de référence! »

Panier de bio
Enfant du Panier où il a grandit et vit toujours à 37 ans, « Shasha » se rappelle lui de l'époque où « le sel, il partait du premier, il arrivait jusqu'au quatrième et puis il revenait... Les portes étaient ouvertes, confie-t-il, il y avait des échanges de plats ». C'est du passé? « Le quartier a changé, les anciens sont partis, ou en prison, les relations de voisinage se sont un peu perdues... » Quartier historique de Marseille, avec vue sur le Port, Le Panier est au coeur de la rénovation urbaine qui touche la ville. Malgré la résistance de ses habitants, il prend peu à peu les traits du petit Montmartre marseillais que les édiles locaux rêvent de le voir
devenir. « Du bio? Ouais, c'est vrai, maintenant avec les bobos qui arrivent, on mange du bio au Panier », raille Shasha.

Pour lui, comme pour beaucoup de marseillais des quartiers, la sobriété heureuse à table a son territoire privilégié : juste au dessus des plages de l'Estaque, au bas des cités des quartiers Nord, des petites terrasses en pallier permettent de venir pique-niquer en regardant la mer qui baigne la ville. Le week-end, c'est toujours rempli, ça sent la grillade et la famille. Sacs de charbons de bois, sacs plastiques remplis de bidoche bon marché, bouteilles de Banga quand y'a les mamans, de bière quand c'est entre potes. La marmaille s'égaye et mare nostrum est aux pieds. Des repas sans bio mais labellisé « bien vivre ensemble ».

Emmanuel Riondé / ACTE

 

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