« On ne voit les Noirs que lorsqu'ils se révoltent »

Le 25-05-2011
Par xadmin

2011 est à la fois l'année de l'Outre-Mer (une année qui est pour l'instant passée inaperçue médiatiquement), et celle des dix ans de la loi Taubira sur l'esclavage, tout aussi éclipsées par un trentième anniversaire de la mort de François Mitterrand. Et si, plutôt que de pleurer sur la tombe d'anciennes gloires au bilan contestable, la France regardait le présent droit dans les yeux ? C'est en tous cas ce qu'ont fait le 12 mai, à La Villette, Françoise Vergès (Présidente du Comité pour la mémoire de l’esclavage), Jacky Dahomay (Professeur de philosophie et syndicaliste), Serge Romana (Président de l’association CM 98), George Pau-Langevin (députée PS du XXè Arrondissement de Paris) et le Réunionnais Carpanin Marimoutou (chercheur au CNRS), autant de personnalités intellectuelles et politiques de poids. Extraits de leurs riches interventions.

S. Romana :
On connaît l'Outre-Mer quand on part en vacances, quand il y a un cyclone comme Hugo. L'Outre-Mer n’est pas invisible, mais on le voit mais d'une certaine manière. Par contre c’est vrai qu’ici, les antillais ne sont pas comptés. Ils font parti des « Noirs de France ».

C. Marimoutou :
L'esclavage est toujours considéré comme l'histoire des Noirs, pas des Blancs. De même, avant, on ne voyait les Noirs que lorsque les esclaves se révoltaient. C'est encore le cas aujourd'hui dans les Outre-Mer, avec le LKP... ou dans les banlieues.

G. Pau-Langevin:
Les Outre-Mer dérangent car elles n'arrivent pas à rentrer dans le moule de « l'intégration française », qui sépare les Français des étrangers. Or, elles ne sont ni totalement françaises, ni totalement étrangères.

J. Dahomay :
La crise de 2009 a éclaté en raison du prix du riz, de l'essence, sur la question de la possession de la terre, mais on ne parle que de la mémoire. Il y a une convergence de la question de la vie chère et de la question identitaire, convergence mal perçue par le LKP d'où son échec. Les revendications ne portaient pas sur la question du statut de ces territoires. Les gens voulaient être reconnus, mais ne voulaient pas d'autonomie. La société civile voulait juste plus d'intégration, contrairement aux syndicalistes, indépendantistes.

G. Pau-Langevin : Victorin Lurel [Président de la Région Guadeloupe] a donc été réélu dès le premier tour des régionales, il est le seul en France.

J. Dahomay : Le mouvement social a toujours été très fort en Guadeloupe, ça ressemble à ce qui se passe en Grèce à partir de 2008, c'est une crise de la mondialisation. Mais notre positionnement est très difficile : on a nous-même peur de se dire Français. C'est que les deux premières républiques ont aboli l'esclavage. Et en même temps, l'universalisme républicain n'est pas séparable d'un certain nationalisme…

S. Romana : On se sent toujours descendants des Nègres Marrons. Dans ces conditions, c'est toujours très difficile de discuter avec l'Etat. Le mouvement mémoriel veut faire reconnaître les antillais comme des français comme les autres, mais descendants d'esclaves. Notre marche du 23 mai et nos revendications veulent dire : honorons nos parents.

C. Marimoutou :
La question actuelle concerne l'expression des conditions dans lesquelles on peut faire valoir nos droits : droit à l'énergie à un prix normal, à un co-développement avec la France autant qu'avec notre environnement proche...

G. Pau-Langevin : Les promesses sur les prix n'ont pas été tenues. L'essence a encore augmenté. Dans les explosions sociales, il y avait un grand bonheur à dire des choses tout haut, mais après, on revient dans le moule. Comme dans les banlieues.

J. Dahomay : Oui, le LKP est quasi-dissout. Mais Domota veut créer un parti révolutionnaire pour mener des actions plus fortes.

F. Vergès : On n'arrive pas à trouver une solution politique à tout ça, et on accuse la France de tous les maux. Quelle est la solution pour des îles qui ont connu trois siècles de mono-culture ? En Martinique, dans dix ans, les seniors seront majoritaires. A la Réunion, 50% de la population vit avec moins de 800 euros par mois, et c'est la région qui a le plus fort taux d'assujettis à l'ISF ! Que faire ? On n'a aucun modèle ! Changer de statut changerait quoi ?

C. Marimoutou : Et on a 110 000 illettrés à La Réunion [pour plus de 800 000 habitants]…

S. Romana : 50% des familles sont mono-parentales en Martinique et en Guadeloupe... Il faut rompre les monopoles, ce n'est qu'après 1952 que le marché s'est ouvert à autre chose que la canne à sucre.

C. Marimoutou : Oui, mais à la Réunion, plus personne ne possède de terre ni d'usine. C'est les multinationales partout, et toute discussion est impossible. Il serait possible de faire une politique de développement local en matière d'énergies renouvelables, de développer du tram-train et les transports collectifs, comme aux Antilles, etc. Mais la nouvelle majorité vient de mettre fin à tous ces projets, tout comme celui d'une Maison des Cultures. Qui a intérêt à ce que les réunionnais restent dépendants ? Les grandes entreprises, Renault et autres...

F. Vergès : Il faut s'émanciper de l'axe métropole-Outre-Mer, et regarder ce qu'il se passe en Afrique du Sud, en Inde, au Mozambique, à Madagascar, quand on est à La Réunion, et à ce qui se passe dans la République islamique des Comores, quand on est à Mayotte... Il y a une forme d'auto-destruction, beaucoup d'alcool, de suicides.

C. Marimoutou :
L'Outre-Mer a failli présenter, il y a trente ans, un candidat aux présidentielles : Jean-Marie Tjibaou. Il faudrait faire pareil, ça pèserait sur les programmes.

J. Dahomay : Mais il manque une nouvelle philosophie de la liberté, comme en Tunisie, qui ne voie pas le peuple comme un tout uni, comme le voient les religieux ou les trotskystes !

S. Romana : On a toujours essayé de faire comprendre au peuple ce qu'on a dans nos têtes, il faudrait essayer de comprendre ce que le peuple a dans la tête maintenant !

Propos recueillis par Erwan Ruty
 

Participez à la réunion de rédaction ! Abonnez-vous pour recevoir nos éditions, participer aux choix des prochains dossiers, commenter, partager,...