
Le web documentaire cherche sa voie

Le Net sert vraiment à tout ! L’émergence du web documentaire, nouveau mode de narration, en est la preuve. Le genre pourrait bien conquérir les quartiers tant le quotidien y est riche. Mais le défi s’avère délicat. Comme souvent, il faut du talent. Et, surtout, de l’argent…
Comment réunir une centaine d’habitants d’un même quartier dans une fiction? Faites les jouer dans une web-série. Dans le genre, Addict, diffusé par Arte mais uniquement sur le web en 2010 (http://addicts.arte.tv/), a ouvert la voie. Près de 80 personnes des Aubiers, une cité sensible dans la banlieue de Bordeaux, se sont adonnées aux joies du tournage. « Ça a été une aventure humaine, d’abord, et une reconnaissance artistique, ensuite », confie Cédric Séraline, l’interprète de Saad dans la série. « Addict a plutôt bien marché, souligne David Carzon, rédacteur en chef du pôle web d’Arte France. La série a été vue 600 000 fois ». Un chiffre en deçà du million escompté mais qui n’enlève rien au succès de cette web-série. Car Addict reste un cas d’école. « Avec une centaine d’épisodes, le support continue de drainer des visites. » Surtout, ce nouveau mode d’expression s’appuie sur une dimension collective très forte : « Nous avons fait travailler beaucoup de gens des Aubiers côté acteurs comme techniciens. »
Poser une distance créative sur leur vie
Un engagement qui explique la présence du Conseil régional d’Aquitaine parmi les financeurs. La collectivité publique a soutenu le projet à hauteur de 156 000 euros. Bénédicte Lesage, directrice de Mascaret Films, la boite de production d’Addict, parle elle d’engagement. « On a travaillé avec des gens qui avaient parfois fait des choses hors-la-loi. Et tout l’intérêt d’un tel projet consiste à transformer des choses négatives en actes positifs. » La création prend alors tout son sens. « En permettant à des gens de poser une distance créative sur leur vie, on change le regard de l’autre. » Des propos que rejoint Cédric. « Addict nous a permis de montrer que dans les quartiers, des choses bien se passent aussi. C’est déjà beaucoup ! », lance t-il, enthousiaste.
Ce nouveau moyen d’expression fait déjà des émules. Début 2011, le Bondy Blog, média lancé lors des émeutes de 2005, et Tribudom, collectif de cinéastes fondé par le réalisateur Claude Mouriéras, ont inauguré une école du web-documentaire. Le web-docu ? Un film didactique, utilisant tous les outils narratifs du web - interactivité, délinéarisation du contenu, possibilité pour l’internaute de piocher et de partager les thèmes sur les réseaux sociaux. Le principe de l’école : proposer à une quinzaine de jeunes de banlieue une formation à cheval entre techniques cinématographiques et internet. « L’école doit permettre à ces publics de s’emparer d’un nouveau mode de diffusion », espère Claude Mouriéras, initiateur du projet. Un pari à part entière. « La promotion mêle des profils divers et variés. Certains sont novices, d’autres ont déjà une sensibilité artistique. » Avec, déjà l’idée de « logiciels libres qui pourraient permettre au plus grand nombre d’investir ce nouveau genre d’expression. » Les quartiers en premier lieu.
Créer un modèle économique
Reste que pour l’heure, ce nouveau support n’en est encore qu’à ses débuts, sans modèle économique établi. Selon Alexis Sarini, co-fondateur avec Louis Villiers du site référence dédié à ce nouveau média (http://webdocu.fr), « le financement du Web-docu se répartit à part égal entre le CNC (ndlr : Centre National du Cinéma et de l’image animée), les producteurs et les diffuseurs comme Arte ou Lemonde.fr. ». Si les fonds publics tendent à s’ouvrir, que le CNC s’est par exemple doté d’une commission pour financer les nouveaux medias dont le web-docu, le nombre de diffuseurs reste encore confidentiel. En cause, la question pécuniaire. « Nous avons réalisé l’an passé des web-docu qui coûtaient autour de 150 000 euros. C'est la somme idéale pour pouvoir travailler le fond et la forme, rappelle David Carzon. Et une web série tourne aux alentours de 10 000 euros ». « Agat films, par exemple, a dépensé 100 000 euros pour La zone, un web-docu consacré à Tchernobyl, sorti le 20 avril sur le site du Monde », confie David Coujeard, membre de la boite de production. De quoi donner le vertige, surtout pour un jeune artiste désargenté d’une cité. Mais pas de raison de désespérer selon Arte. Il y a toujours une opportunité pour le talent. « On essaie de repérer des jeunes auteurs et si leur travail nous convainc, on peut très bien en faire une web-série. » Addict est passé par là…
Donner du sens
Problème : l’argent n’est pas le seul frein à la démocratisation du web-documentaire. L’autre enjeu, le plus délicat probablement, consiste à définir les vrais contours de ce nouveau mode d’expression. Une nécessité pour populariser cette manière de diffuser de l’information et donc ouvrir des perspectives. Le genre reste encore assimilé à un travail fait par des journalistes pour des spécialistes. Pas étonnant selon Mouriéras. Longtemps, « les journalistes qui couvraient un sujet ramenaient des images qu’ils utilisaient ensuite pour réaliser leur web docu. » Juste un regard d’auteur de plus. Mais depuis son apparition en 2000, le genre a fait du chemin. Il y a eu Gaza – Sdérot, de Serge Gordey, en 2007. Puis, en 2009, Prison Valley de David Dufresne, une exploration inédite de l’industrie pénitentiaire - une œuvre phare. En une décennie, le web-docu s’est trouvé une raison d’être. « Sur notre site, on en a référencé », note d’ailleurs Sarini. Une économie est même en train d’émerger « entre le CNC, les producteurs et les diffuseurs», remarque-t-on à Arte France. Les choses avancent doucement. Sûrement? L’avenir le dira. Car selon les experts, ce média se cherche encore. « En toute franchise, j’ai encore du mal à identifier le public d’un web documentaire », concède David Coujeard. Même constat chez Mouriéras. « Toute la question est de savoir de quoi on parle et surtout qui regarde ! » Une fois les réponses apportées, les sous tomberont. Parole de producteur !
Nadia Henni-Moulai