Prénom : vous l’aimez « assimilé ou bien marqué » ?

Le 11-04-2011
Par xadmin

Et si votre prénom faisait de vous un « bon Français » ? A l’heure où l’on ne cesse d’interroger le concept d’intégration, les choix des prénoms peuvent ils révéler le rapport à la Nation? Le débat est lancé…

« J’ai clairement choisi un prénom neutre pour mon fils, Nolan… », confie Siam. A 32 ans, cette maman française d’origine marocaine redoute déjà les discriminations dont il pourrait être victime dans vingt ans. Alors, comme bon nombre de parents d’origine étrangère, elle a opté pour un prénom peu marqué, ne laissant deviner aucune appartenance. « Au moins, son CV ne sera pas mis à la poubelle parce que son nom sonne trop arabe !», lance t-elle, un brin provocatrice. Si elle se dit « en adéquation avec ses racines », elle « se soucie aussi de l’avenir de [son] enfant ». Car le choix du prénom constitue un paramètre d’insertion sociale à part entière. Prendre un prénom à consonance française marque pour certains la première étape vers l’assimilation des étrangers au cadre national.

Dans son ouvrage L’immigration, Laëticia Van Eeckhout (1) définit l’assimilation comme « la pleine adhésion par les immigrés aux normes de la société d’accueil, l’expression de leur identité et leurs spécificités socioculturelles d’origine étant cantonnée à la seule sphère privée ». Une philosophie que certaines communautés appliquent consciencieusement. Les asiatiques installés en France, par exemple. « Ces populations puisent souvent les prénoms de leurs enfants dans leur univers professionnel. D’où des jeunes Chinois prénommés Brigitte ou Jean-Pierre», relève Marie-Odile Mergnac, historienne-généalogiste, auteur de la Nouvelle Encyclopédie des prénoms (2). Une volonté de se fondre dans la Nation pour entrer dans le cadre. Un positionnement moins visible dans les familles franco-maghrébines où les prénoms restent très liés à la culture d’origine des parents. Pas étonnant dès lors que les Mohamed ou Inès soient les prénoms stars en Seine-Saint-Denis, selon Marie-Odile Mergnac. A l’échelle nationale, Mohamed apparaît en 1922 en France. Après un essor dans les années 60, un premier pic est enregistré en 1984 avec 1800 naissances dans l’année. La tendance repart même à la hausse avec quelque 2000 petits Mohamed nés chaque année depuis 2000. Chez les filles, Inès, transcription du prénom espagnol Agnès, a vu son usage croître depuis les années 80. Les familles maghrébines ont en effet remis le prénom au goût du jour à travers sa traduction arabe, « généreuse ». Actuellement, 4500 Inès voient le jour chaque année en France.

Autre raison qui permet d’expliquer le boom de ce prénom : « il représente, avec Nadia, un bon compromis entre un prénom ‘traduisible’ en arabe et peu marqué d’un point de vue identitaire », souligne Marie-Odile Mergnac. Un constat qu’appuie, également Guy Desplanques, auteur du best-seller La cote des prénoms et ancien statisticien à l’Insee. « Le choix d’un prénom métissé témoigne pour bon nombre de parents d’un désir d’intégration », souligne-t-il. Dans son ouvrage, il note d’ailleurs un autre phénomène : la multiplication de combinaisons comme Yanis-Alexandre ou Rachid-Nicolas. Une posture adoptée par Mohand, 67 ans. Cet Algérien installé en France depuis les années 70 a fait le choix de donner un prénom « français » et « arabe » à ses trois enfants. Yacine est aussi Yann, Karim est Charles et Leila devient Laura. « A l’école, les profs les appellent avec des prénoms européens, c’est plus facile pour tout le monde. Ils sont comme tout le monde ! » On touche là au cœur du problème. Doit-on abandonner sa culture pour être un Français modèle? Pour Marie-Odile Mergnac, « le choix du prénom n’est pas lié à la capacité ou la volonté d’intégration ». D’autres sont plus catégoriques. En 2009, Eric Zemmour, chroniqueur, s’offusquait que Rachida Dati, « Ministre de la République, puisse prénommer sa fille Zohra ». Une atteinte selon lui à « la tradition assimilationniste de la France ». Des propos jugés choquants pour Kader, 39 ans, et père de Ilyès et Nora. « Ces prénoms découlent de mes racines, certes, mais aussi de mes goûts, tonne t-il. Je ne vois pas pourquoi je devrais me restreindre aux prénoms ‘‘européens’’ ».

Aujourd’hui, les familles maghrébines et africaines restent encore très attachées à la signification du prénom. Est-ce pour autant une revendication identitaire? La question mérite d’être posée. Difficile d’apporter une réponse tranchée. Marie-Odile Mergnac, elle, avance une hypothèse liée à la pratique religieuse. « Les familles croyantes, qu’elles soient musulmanes ou chrétiennes, sont théophores. Le choix des prénoms comme Abdelrahmane ou Emmanuel traduit une qualité de Dieu ou fait référence aux Evangiles ». Samia, 33 ans, confirme. «Le prénom de mon fils, Abdelhakim, est l’un des 99 prénoms de Dieu. Je suis musulmane pratiquante. C’était important pour moi d’avoir un prénom islamique. » Et si elle déclare « respecter la laïcité », elle « déplore néanmoins la pression sociale et psychologique exercée sur les franco-musulmans ». Objectif selon elle ? « Annihiler toutes les différences des uns et des autres. » Samia pointe, ici, le fond du problème. L’intégration passe-t-elle forcément par l’assimilation? Leyla Arslan, docteur en Sciences politiques et auteur de Enfants d’Islam et de Marianne : des banlieues à l’Université (4), le confirme. « En France, l’intégration a pris le relais de l’assimilation. On a seulement changé de mot…»

Nadia Henni Moulay / Presse & Cité


(1)L’immigration, Laëticia Van Eeckhout, La documentation française, collection Débats Publics, 2006
(2) La nouvelle encyclopédie des prénoms, Marie-Odile Mergnac, édition Culture et archives, 2011
(3)La cote des prénoms, Joséphine Besnard et Guy Desplanques, Michel Laffon, 2009
(4)Enfants d’Islam et de Marianne : des banlieues à l’Université, Leyla Arslan, PUF, 2011
 

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