
L’appel de la concorde ?

Une salve d’appels ont été publiés à l’initiative de Respect mag depuis quelques mois : d’abord « Pour une République multiculturelle et post-raciale » début 2010, puis « Des musulmans contre le terrorisme » en janvier 2011, avant un nouvel appel « Des musulmans citoyens pour le droit des femmes », et enfin « Contre le procès-débat sur l’islam ». Des milliers de signataires parfois prestigieux y ont apposé leur nom. Mais la diversité de ces appels ne témoigne-t-elle pas d’une hésitation sur le positionnement de leurs auteurs, en tant que musulmans, dans une France volontiers sensible à ce type de positionnement ?
A l’initiative de Respect Magazine, le quotidien Libération publiait ainsi le 12 janvier 2011 un appel intitulé « L’islam bafoué par le terrorisme » qui dénonce « le rapt de l’identité musulmane ». Mais s’agit-il de rassurer ou d’affirmer ? Les initiateurs de l’appel se sont sentis obligés de répondre à cette question en publiant une note sur le site de Respect Mag signalant que « pour Marc Cheb Sun et Ousmane Ndiaye, rédacteurs du texte, ‘’il n’est pas question de répondre à ceux qui exigent des musulmans une réaction face aux actes terroristes’’ ».
Philosophiquement, en tant que musulman, il paraît naturel d’être interpellé, et chaque personne interrogée sur cette question confirme son rejet de cette ignoble récupération. Mais politiquement ?
Aziz, cafetier dans le 20ème arrondissement à Paris n’a pas signé l’appel : « Il m’apparaît évident de rejeter la violence commise au nom de l’islam. Mais devant cet appel, j’ai l’impression qu’il s’agit d’une sorte de dédouanement. Je refuse de faire ça dans la mesure où ça nourrit un amalgame largement entretenu entre les musulmans et le terrorisme. Etre contre toute forme de violence injustifiée me parait être une question d’humanité et pas d’appartenance religieuse ou ethnique ». Interrogé par Respect Mag sur ce point de vue, partagé par bon nombre de citoyens musulmans, Tariq Ramadan dit comprendre la logique de l’argument mais en contester la substance. Pour l’intellectuel suisse : « Ne pas vouloir exposer sa pensée clairement, par la crainte de verser dans la justification, revient encore et toujours à se positionner par rapport à la perception de l’autre ». Autre grand nom parmi les signataires, Stéphane Hessel, a affirmé dans Respect mag lui aussi que l’appel « doit être soutenu, non seulement par des musulmans, mais par tous ceux qui partagent le souci de voir l’islam jouer le rôle positif, celui qu’il doit et peut tenir dans nos sociétés contemporaines ».
Fouad Bahri, journaliste et écrivain, a publié une critique de l’appel sur le site oumma.com. Pour lui « si cet appel semble juste et raisonnable à court terme, il constitue, à long terme, un véritable danger ». Deux raisons sont avancées par l’auteur. La première concerne la nature même de ces attentats attribués au terrorisme islamiste. Il relève que : « Ces actions et ces opérations armées comportent un certain nombre de problèmes et soulèvent des interrogations curieusement peu relayées ». Concernant les attentats du Caire du début de l’année qui sont à l’origine de l’appel de Respect mag, il rappelle que « des versions contradictoires ont été défendues, toutes officiellement » à propos des responsables de cet acte odieux. A cela, Marc Cheb Sun, rédacteur de l’appel répond : « Quel que soit l’auteur de ces attentats, on ne peut pas nier qu’il y a aujourd’hui de par le monde un problème de ce point de vue-là et que des groupes instrumentalisent l’islam à des fins violentes ». Il s’agit de dénoncer ces « faussaires » et pour ce faire, « il est important que ceux qui portent cette identité s’emparent de cette question et ne soient plus médusés par l’horreur. Je pense que devant ces actes de violence, les musulmans se sont beaucoup tus car ils étaient dans une sorte de stupeur et ils ne voulaient pas reconnaître un lien entre leur foi et ceux qui commettent ces actes. Maintenant, il faut sortir de cette stupeur et dire son rejet de cela »
Pour Fouad Bahri, l’appel de Respect Mag est également dangereux car il participe d’un « mécanisme de domination psychologique qui se met en place très progressivement ». Selon lui, « Ce mécanisme obéit à un schéma très simple : le rapport injonction/soumission ». Les initiateurs de l’appel ont lancé cet appel « peu de temps après les mises en garde et les injonctions de l’UMP, exprimées dans la bouche de l’un de ses députés (Bernard Carayon) , condamnant le silence des musulmans et leur relative apathie, suite aux attentats anti-coptes en Égypte ». En effet, Bernard Carayon s’était exprimé le 2 janvier, soit dix jours avant le lancement de l’appel de Respect Mag. Pour Fouad Bahri, ce sont des « injonctions politiciennes qui iront de plus en plus loin ». Ces exigences impliquent selon l’auteur un double enjeu, l’un assumé et l’autre sous-jacent, qui demande aux musulmans de « prouver leur fidélité républicaine et leur démarcation non plus seulement envers le terrorisme, ce qui va de soi, mais envers toutes les formes de religiosité et toutes les idées ou concepts islamiques systématiquement amalgamés aux grilles de lecture sécuritaires ».
« Avec ces appels, nous avons créé un vrai dialogue »
Pour Marc Cheb Sun, cette critique ne tient pas, car tout le monde réagissait aux attentats à ce moment-là : « Ce sont les attentats qui ont provoqué la rédaction de notre appel ainsi que la réaction Bernard Carayon et beaucoup d’autres personnes ». Et d’expliquer la démarche : « Je me considère comme un adulte responsable et je n’ai pas besoin d’un papa ou d’une maman qui me dise de faire quelque chose pour le faire ou ne pas le faire. Avec ces appels, nous avons créé un vrai dialogue et des échanges constructifs. Cela nous a permis de parler de choses dont nous ne parlions pas avant, et je pense que c’est positif ».
Toujours dans cette volonté de normaliser la présence de l’islam, Respect Magazine a ensuite publié un autre appel, le 23 mars, intitulé « Non au débat-procès de l’islam » dans lequel les mêmes signataires demandent au gouvernement de renoncer au débat national qui doit s’ouvrir le 5 avril 2011 sur la laïcité et la place de l’islam en France. En collaboration avec le Nouvel Observateur cette fois, les initiateurs « appellent tous les citoyens à signer massivement cet Appel, «pour refuser cette France des «eux» et des «nous» et créer ensemble un avenir commun ». N’est-il pas contradictoire d’initier un appel contre le terrorisme par un « nous » musulman dans un premier appel, et de dénoncer un débat, même biaisé, sur la place de l’islam en France dans un autre appel ? Pour Marc Cheb Sun, il n’y a pas d’incohérence entre les deux démarches. Même s’il admet que l’appel contre le terrorisme était effectivement initié par des gens de foi ou de culture islamique, il rappelle qu’immédiatement après, ceux-ci ont demandé à des gens de toutes confessions ou sans confession de les rejoindre. Mais l’objectif de cet appel est, de l’aveu de Marc Cheb Sun, « de devenir acteurs de l’histoire, sujets et non plus objets ». En tant que musulmans donc… et non pas en tant que citoyens engagés qui n’ont pas de comptes spirituels à rendre à la société.
Ces appels ont pour objectif de construire une France réellement multiculturelle. Un dessein qui doit sans doute se construire autour d’une identité politiquement assumée et philosophiquement décomplexée.
Meriem Laribi