
A Evreux "La révolte des jeunes a été utilisée pour conclure des contrats"

Stéphane Baki est responsable de l’association des jeunes de la Madeleine à Evreux. Vingt ans qu’il est sur le terrain... Quand il parle des événements de 2005, il est calme mais amer. Pour lui, rien n’a changé.
Presse et Cité : Que s’est-il passé après les « émeutes »?
Stéphane Baki : On a eu un couvre-feu pendant un mois complet sur la cité de la Madeleine. Puis il y a eu pleins de dispositifs. C’était surtout des constructions, des reconstructions... On a vu apparaître une petite école et l’hôtel de l’agglomération a quitté le centre ville pour s’implanter dans le quartier. Mais le chômage est toujours à plus de 32%. Rien n’a changé. On espérait avoir des retombées du plan Marshall de Fadela Amara, qui prévoyait la création de 45 000 emplois pour les jeunes, mais on n’a rien vu non plus. On a encore des jeunes déscolarisés! A l’hôtel de l’agglo, il n y a pas un Arabe ou un Noir, sauf pour faire le ménage...
Vous avez une idée du budget mobilisé sur ces projets?
On a parlé de 203 millions d’euros investis... Dans une période de crise, au lieu de tout mettre dans le béton, il faut miser dans les prestations et les aides sociales. Quels bénéfices la population de la Madeleine a-t-elle tiré de ces millions ? On aurait aimé que cet argent serve aux structures associatives. Certes, il y a maintenant des lumières dans la Madeleine, mais les gens sont toujours en difficulté. Autre exemple : 800 logements sociaux ont été déconstruits. ça aurait été bien d’y associer les gens du quartier plutôt que de prendre des gens de Toulouse!
Et au niveau de l’emploi ?
Il était question avec le plan Marshall d’aider les jeunes des quartiers à créer 20 000 entreprises. Ils devaient rencontrer les patrons, qui étaient censés les coacher. Sur la Madeleine, il y a aujourd’hui 17 000 habitants et pas une seule entreprise d’intérim! Nous, on a déposé un dossier
de création d’entreprise d’insertion à la Préfecture. Voilà des choses qui auraient pu se mettre en place et ne coûtent pas grand-chose. Mais c’est une question de volonté politique et entreprenariale. Vous êtes dans quel état d’esprit aujourd’hui? Complètement abattu. J’ai l’impression que rien ne changera jamais. On essaye de se battre sur le terrain mais la population pense que ça ne sert à rien de nous écouter, puisque rien ne change.
Les quartiers peuvent de nouveau exploser ?
Je ne serais pas surpris que ce qui s’est passé en 2005 recommence demain. Les 203 millions, s’ils n’ont pas profité à la population, ils ont bien profité à quelqu’un : aux constructeurs! Et aujourd’hui les jeunes sont plus attentifs à la vie publique. Ils décortiquent les choses, ils ont conscience des enjeux. Ils ont aussi compris qu’on les prenait pour des imbéciles. Si on pousse l’analyse, on a l’impression que la révolte des jeunes a été utilisée pour conclure des contrats. Les couillons ce sont ceux qui ont cru qu’ils allaient profiter de cet argent, alors qu’en fait il a profité aux gros patrons...
Propos recueillis par Renée Greusard