
Didier Lapeyronnie : "Il y avait une parole des émeutiers"

Pour le sociologue Didier Lapeyronnie*, les évènements d’automne 2005 s’inscrivent dans la continuité des violences que connaissent les banlieues françaises depuis la fin des années 1970, avec une particularité : leur basculement à l’échelle nationale. Plus que des émeutes, il s’agit pour le sociologue de révoltes politiques. Dont le message n’a pas forcement été saisi par la Nation.
Cinq ans après, les évènements de 2005 continuent de hanter les esprits. Qu’est-ce qui fait la particularité de ces violences, qui ne sont pas une première en France ?
Les émeutes de 2005 s’inscrivent dans la continuité des incidents et des violences dans les cités de banlieue depuis la fin des années 1970. Du point de vue de leur départ elles n’ont d’ailleurs rien de très original : une bavure policière déclenche des violences dans une ville de banlieue. La particularité de 2005, c’est le basculement de l’émeute au niveau national. C’est la première fois que l’on a assisté à un embrasement général et simultané.
Selon vous, il ne faut pas y voir des émeutes urbaines mais davantage une révolte politique ?
Je pense qu’il faut refuser le qualificatif de « violences urbaines ». Les émeutes, comme toujours, ont une dimension politique. Personne n’aurait aujourd’hui l’idée de qualifier la prise de la Bastille de violence urbaine. Les émeutes sont toujours portées par des groupes sociaux marginalisés, souvent « racialisés », qui n’ont pas accès au système politique, qui ne sont pas représentés et qui trouvent dans l’émeute un moyen de provoquer une réaction de ce système, une façon de se faire reconnaître. Ils peuvent aussi espérer en tirer des bénéfices matériels directs ou indirects, localement ou nationalement. Il n’y a pas eu de porte parole ou de discours très construits. Mais les émeutiers ont beaucoup parlé, soit à travers la presse écrite, soit sur les blogs et sites internet. Il y avait une parole des émeutiers qui interdit de les ramener à de la violence pure ou à de la délinquance, parole le plus souvent très politique.
Pensez-vous que les pouvoirs publics et la société civile ont compris ce message ?
Je ne sais pas s’ils ont compris. Ils ont réagi par la répression et l’indignation. Mais cela ne s’est pas traduit concrètement par des réorientations politiques ou un investissement réel dans une politique en direction des banlieues. On a même l’impression du contraire. Le sentiment d’abandon est très répandu dans les cités et la tension toujours présente. L’enlisement du plan Amara montre à quel point, finalement, rien n’a été fait. De fait, il y a déjà eu nombre de nouvelles émeutes depuis cinq ans. Savoir si elles se reproduiront à cette échelle est impossible. C’est d’ailleurs peu probable. Par contre, la situation sociale ayant continué à se dégrader, il est probable que les émeutes continueront d’éclater selon les mêmes logiques.
Propos recueillis par Dounia Ben Mohamed
*Professeur de sociologie à l’université Paris IV-Sorbonne , auteur, avec Laurent Courtois, de Ghetto urbain, ségrégation, violence, pauvreté en France aujourd’hui, (Robert Laffont,