
Rendez-vous au taxiphone - Ressources Urbaines

Les cybercafés ou taxiphones ont faire leur arrivée en France il y a une dizaine d’années. Depuis, ces centres dans lesquels on peut appeler, faxer mais également envoyer de l’argent ont pris une autre dimension. Ils sont devenus de vrais lieux de vie où se croisent hommes d’affaires, étudiants et jeunes qui viennent passer le temps.
Je me suis rendu dans plusieurs cybercafés et une constatation, deux profils différents se distinguent: ceux qui utilisent les services que propose le taxiphone et ceux qui squattent devant. Certains viennent pour le « chat », facebook ou pour parler par webcam. D’autres y travaillent, impriment des documents ou en faxent. Il y en a qui surfent sur des sites d’emploi, se cultivent et découvrent une nouvelle forme d’apprentissage. Les cybercafés permettent également l’envoi d’argent à l’étranger, via Western Union ou Moneygram notamment, ce qui facilite la vie à beaucoup de gens. Le rôle de « dépanneur » est également endossé. En effet, des jeunes y viennent en cas de nécessité. La raison ? Ils n’ont pas les moyens financiers de payer un abonnement internet.
Tous ces services, autrefois proposés par la Poste, sont de nos jours offerts par des sociétés privées. Bien que ces services ne relèvent plus du domaine public, l’aide à leur utilisation est toujours garantie. Les personnes plus âgées, parfois dépassées par les nouvelles technologies, ne le sont plus du tout. « Il est aussi facile d’utiliser un fax qu’à l’époque de la PTT, il suffit de me demander de l’aide et j’arrive. Il est là aussi mon rôle » , me dit Ahmed, gérant d’un taxiphone à Saint-Denis. Idem pour les mails ou l’envoi d’argent. « J’ai fait ce travail car il y a toujours des clients et c’est sympa de leur rendre service » , affirme Ahmed. « Cela dit, avec l’offre TV-internet-Téléphone que proposent Free, Orange ou SFR, ça peut nous faire de l’ombre. » Tony, lui, n’est pas dedans, mais devant un taxiphone d’Aubervilliers.« J’attends un pote qui ne va pas tarder à arriver. On va rester là et discuter, changer d’air et galérer », me dit-il avec le sourire. Ces jeunes deviennent des habitués et avec le temps, se lient d’amitié avec les patrons.
Au taxiphone, on faxe, on maile, on tchate, on photocopie, et... on squatte. Cette « nouvelle mode » n’est pas spécifique aux banlieues car même en province, la situation est similaire. Pour Kahina, originaire de Clermont-Ferrand, « ça c’est transformé en point de rendez-vous pour jeunes. Pour une fille, quand tu vois une bande de mecs, même s'ils ne sont pas forcément méchants, ça peut être gênant. » Et pour remédier à cette situation, certains gérants utilisent le dialogue. C’est le cas d’Ahmed: « je les ai virés gentiment. Des gens se plaignent, surtout les filles « Ces jeunes, qui ont la vingtaine, errent devant et tentent de faire des rencontres…pour oublier les tracas quotidiens. «Leur situation peut être dure», confie Ahmed.
Sans emploi ni repère, la société actuelle les oblige, selon certains jeunes, à se rendre dans un endroit sécurisant. « Il y a un problème quelque part. La société nous cloisonne et au lieu de traîner en bas de la cité à ne rien faire, on s’accroche là où on peut s’évader l’esprit », s’exclame Siaka, venu faire des photocopies. C’est donc pour oublier certains problèmes quotidiens que ces jeunes se tiennent debout plusieurs heures. Un manque d’argent justifie aussi cette situation. Sans revenus fixes, ils cherchent la « bonne astuce »…même pour un café. Et là, le « cybercafé » prend tout son sens. C’est avec une tasse de café à la main, à trente centimes seulement en moyenne, qu’on peut « tchatcher », téléphoner et bien sûr, discuter devant le taxiphone. «C’est notre cafétéria» nous dit Siaka avec ironie.
L'explosion des taxiphones et la fidélisation des clients. La Poste, en délaissant ces types de services, a permis au début des années 2000 le développement de sociétés privées telles que les cybercafés. « Cela nous a ouvert des portes mais c’est vrai que c’est devenu la jungle. Maintenant, il y a cinq ou six cybers par quartier. Avant avec la PTT, c’était un prix pour tout le monde », affirme Ahmed. C’est devenu un véritable business où chacun fixe ses prix. Du coup, certains cybers développent la fidélisation des clients. Certains proposent des abonnements pour une durée déterminée, d’autres des cartes téléphoniques rechargeables et avec lesquelles on peut appeler de chez soi, mais aussi des téléphones portables à bon prix. Le cybercafé est donc le reflet de la société en banlieue, avec un « melting pot » qui met en relief le caractère dynamique de la relation entre individu et collectivité. Et si derrière ce côté commercial, se cachait un rôle social?
Nordine Aftis/ RU