Discrimination de territoires, pas trop tôt ! -Ressources Urbaines

Le 08-12-2010
Par xadmin

Il a fallu des dizaines d’années de politiques publiques injustes pour que le débat sur la discrimination de territoires s’ouvre enfin. Le 5 mai 2009, Gilles Poux, maire (PC) de La Courneuve saisissait la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) et portait plainte pour discrimination de territoires. Pour la première fois de son histoire, la Halde a accepté une plainte collective, la déclarant recevable.

La loi française punit 18 critères de discrimination dont l’origine, le sexe, l’âge, etc. mais n’avait pas prévu que l’on soit discriminé parce que l’on habite à Gennevilliers, Aubervilliers, Tremblay ou La Courneuve.
La discrimination à l’embauche, à cause de l’adresse est l’aspect qui a convaincu la Halde. Mais pour les initiateurs de cette action, il s’agissait avant tout d’attirer l’attention sur les politiques publiques qui privent ces villes pauvres de moyens financiers, culturels et structurels. Ce traitement différencialiste crée un sentiment de profonde injustice chez les habitants de ces villes. Par ricochet, ce séparatisme territorial, d’abord politique, conduit à une stigmatisation de la part des médias et des employeurs.
Entretiens avec Jean-Luc Vienne, directeur de cabinet du maire de La Courneuve et Mathieu Montés, premier adjoint au maire de Tremblay-en-France, membre fondateur de l’académie des banlieues.

 

Jean-Luc Vienne: « Nous sommes l’avenir de la République ! »

Ressources Urbaines : Quelles sont les causes qui vous ont poussés à déposer plainte pour discrimination de territoire?

Jean-Luc Vienne: Nous avons pris la mesure de ce que l’on savait déjà : notre territoire n’est pas traité comme les autres. Il y a une discrimination urbaine et sociale dans l’accès aux services publics. Nous sommes un territoire en mouvement. La ville s’est beaucoup transformée, notamment avec l’arrivée de la cité des 4000 logements dans les années 1960 à La Courneuve qui a multiplié par deux la population. Cette cité a été construite sur un terrain qui appartenait à la ville de Paris parce qu’il y avait un besoin urgent de logements sociaux. Et on les a construits sans réfléchir aux infrastructures qui vont ensemble ni aux conséquences de cette multiplication du nombre d’habitants. De plus, il a fallu attendre 20 ans après la construction des 4000 pour qu’on fasse des rues qui relient la cité à la gare. Avant cela, les habitants des 4000 avaient deux paires de chaussures : une pour le travail et des bottes car il fallait traverser des champs.
Un autre exemple de cette discrimination est le fait que les industries chimiques aient été placées au nord de Paris, à La Courneuve notamment, pour que les fumées toxiques n’aillent pas déranger les balcons de l’ouest parisien.
Par ailleurs, Les politiques urbaines pour améliorer la qualité de vie sont à géométrie variable. La Courneuve est défigurée car coupée par l’autoroute A1 qui sépare la ville du parc de La Courneuve. Les habitants ne peuvent pas accéder facilement au parc. Il suffirait de recouvrir un peu l’autoroute pour pouvoir passer et ça coûterait au maximum 50 millions d’euros. Cela n’a pas été fait. Ce qui est choquant pour nous, c’est que Nicolas Sarkozy a décidé de recouvrir l’autoroute urbaine à Neuilly-sur-Seine pour un montant de 1 milliard d’euros. Puisque c’est un chantier d’Etat, le choix est clair.

Quelle est votre analyse de ce constat ?

J.L.V.: Quand Jean-Louis Borloo est venu signer le protocole de l’ANRU (Agence Nationale de Rénovation Urbaine), il a dit que l’avenir de la République se joue dans ces villes-là. Je ne sais pas s’il le pensait ou non mais en tout cas, nous nous sommes appropriés cette idée. Nous pensons que des villes comme La Courneuve représentent un condensé de tous les problèmes de société que ça soit en terme de sécurité, d’emploi, de logements, de communautarisme, etc. Nous avons fait toute une campagne auprès de la Halde pour dire : Nous sommes l’avenir de la République.
Nous considérons qu’un certain nombre de politiques ont été testées sur nos villes. La question est de savoir s’il faut que les villes pauvres se partagent des enveloppes ou faudrait-il au contraire réfléchir à l’ensemble des dispositifs et des politiques publiques.
Il y a aussi la discrimination positive. Au lycée Jacques Brel à La Courneuve, des accords permettent aux lycéens d’entrer à Sciences Po. C’est très bien pour ce lycée mais cela ne se fait pas au lycée Henri Vallon à Aubervilliers. Ne vaudrait-il pas mieux revoir les politiques publiques pour qu’elles donnent des moyens d’éducation à tout le monde ?

Qu’a donné la plainte auprès de la Halde ?

J.L.V.: La Halde a déclaré notre plainte recevable et dans son délibéré de février 2010, elle préconise un observatoire national des zones urbaines sensibles (ONZUS).
Quand on parle de territoires discriminés, il s’agit forcément des habitants et c’est là qu’est venue la question de discrimination à l’adresse au moment de l’embauche. Entre deux Mohamed, on va choisir celui de Levallois plutôt que celui de La Courneuve. La Halde a été très intéressée par l’aspect discrimination à l’emploi. Nous avions évoqué cet aspect là dans notre plainte mais ce n’était pas uniquement sur cette question.
Les Courneuviens sont aussi sensibles à la discrimination de la part des médias. D’ailleurs, pendant très longtemps, les journalistes ont été mal reçus.
Au niveau de l’éducation, il y a aussi d’énormes lacunes. La plupart de nos écoles sont en Zone d’éducation prioritaire (Zep). Pourtant, la scolarisation des enfants de 2 à 3 ans en maternelle à la Courneuve est incroyablement faible par rapport à la moyenne nationale. Aujourd’hui, il n’y a que sept enfants de moins de trois ans sont scolarisés en maternelle à la Courneuve, et il y en a 230 qui attendent une place parce que l’Education nationale ne met pas les moyens.

Quelles sont vos autres actions ?

J.L.V. : Notre objectif était d’ouvrir le débat sur la discrimination de territoire et nous avons réussi. Nous avons organisé une rencontre nationale le 5 novembre et 36 collectivités (de plus de 30000 habitants) étaient représentées. Une des décisions prises ce jour-là est de demander un rendez-vous à chaque groupe parlementaire de l’Assemblée nationale et une enquête parlementaire sur la réalité des discriminations de territoires en France.
Je pense que nous sommes dans un débat juste et justifié. Dans un sondage réalisé par le CSA interrogeant 800 Français de villes de plus de 30000 habitants on a demandé quelles sont les causes des discriminations de territoires. Pour 35% des personnes, c’est une volonté de l’Etat d’abandonner ces territoires.
Dans ce sondage, on a aussi demandé aux français quelle était la valeur de la République à laquelle ils tenaient le plus, la majorité a répondu l’égalité. Et à la question de savoir laquelle des valeurs était la plus menacée, ils ont répondu l’égalité aussi. La fraternité est la deuxième valeur à laquelle les français sont le plus attachés. Il y a donc une envie de solidarité qui se manifeste clairement.

Propos recueillis par Meriem Laribi - Ressources Urbaines

http://www.ville-la-courneuve.fr/


Mathieu Montès: La 19ème discrimination est territoriale

Qu’est-ce que l’académie des banlieues ?

C’est une association créée au printemps 2010 à l’initiative de François Asensi, député maire de Tremblay-en-France, pour réagir à la mauvaise image véhiculée sur les banlieues.
Cette création faisait suite à un reportage diffusé par TF1 sur le problème de la drogue dans les cités qui avait pour titre : Mon voisin est un dealer. C’est sans nuance ! Suite à la diffusion de l’émission, la police a fait une descente à Tremblay et a ainsi saisi près d’un million d’euros lié vraisemblablement à l’argent de la drogue. Conséquence, des jeunes ont fait brûler un bus pour manifester leur mécontentement. En quelques jours, Tremblay, qui était jusque là une ville réputée tranquille, est devenue l’emblème des problèmes de banlieue, de la délinquance et des trafics de drogue. Puis, nous avons assisté à une surenchère dans les médias pour expliquer que toute la ville était sous la coupe des trafiquants de drogue, ce qui, évidemment, est loin d’être le cas, même s’il y a des problèmes comme dans beaucoup d’autres lieux.
Nous avons donc créé l’académie des banlieues, association regroupant des collectivités, locales ou territoriales, des communes, des communautés d’agglomération, afin de travailler sur ces questions d’image de la banlieue. L’objectif est de réagir quand le traitement médiatique aboutit à une stigmatisation comme c’était le cas pour Tremblay et pour d’autres villes comme Vitry, Gennevilliers, Villeneuve-Saint-Georges, etc.

Quelles sont vos actions ?

La première action de l’académie des banlieues a été de décerner un prix de la manipulation à TF1 pour son émission et un prix d’excellence à la Halde pour avoir reconnu à la Courneuve le droit de dépôt de plainte pour discrimination territoriale.
Aujourd’hui, il y a une vingtaine de villes qui ont décidé d’adhérer à l’académie et nous organisons le 9 décembre prochain une rencontre-débat sur le thème des fixeurs. Florence Aubenas qui a été prise en otage à Bagdad interviendra et pourra dire ce qu’est un fixeur dans un pays en guerre et pourquoi on utilise ce concept en banlieue alors que nous ne sommes pas en guerre. Il y aura aussi le jeune Abdel qui a piégé récemment un journaliste du Point et le sociologue Marwan Mohamed, auteur d’un reportage intitulé La tentation de l’émeute où il donne la parole aux habitants des cités.
Nous sommes partis du questionnement sur la diffusion de l’information et petit à petit, nous sommes arrivés à l’idée que l’image véhiculée fait partie d’un tout que constituent les discriminations sur le territoire. Nous rejoignons donc la problématique posée par La Courneuve. A la suite de ces réflexions, un projet de loi a été élaboré et déposé par François Asensi. Il propose d’ajouter à la liste des 18 discriminations punies par la loi, une 19ème qui serait la discrimination territoriale. C’est la suite de l’action entamée pas Gilles Poux.
Par ailleurs, nous intervenons dans des débats, des médias et nous organisons un concours d’affiches et de clips vidéos sur les thèmes du respect et de l’égalité pour les banlieues.

Propos recueillis par Meriem Laribi - Ressources Urbaines

http://www.academie-des-banlieues.fr/
 

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