Quand les institutions s’emparent des cultures urbaines - Ressources Urbaines

Le 27-10-2010
Par xadmin

Depuis son émergence dans les quartiers populaires, le hip-hop a évolué pour passer de la rue à la scène. En investissant dans ce jeune mouvement, collectivités locales et municipalités ont largement contribué à le sortir de l’ « underground ».

Dans les années quatre-vingt, ateliers d’écriture et de graffiti, studios de répétition et d’enregistrement pour les rappeurs, festivals, troupes de breakdance se sont multipliés avec le soutien des politiques publiques. Pour l’ethnologue Virginie Milliot, qui a consacré une thèse sur le sujet*, « il ne faut pas se leurrer, toutes ces scènes qui ont été dressées dans les banlieues populaires pour donner un espace de visibilité à ces jeunes, avaient un objectif clair, qui était la paix sociale ». Vingt ans après, l’institutionnalisation du hip-hop joue-t-elle toujours le rôle d’extincteur dans les cités ?

A Villiers-le-Bel (Val-d’Oise), on s’en défend, arguant que l’organisation d’un festival annuel dédié aux cultures urbaines depuis 1998, « Les Bel’Hopsessions », et la subvention allouée à la compagnie DK-Bel n’ont pas empêché les émeutes de 2007. « Tenter d’acheter la paix sociale de cette manière, c’est faire un amalgame entre les problèmes de banlieue et le hip-hop, estime Ruddy Robeiri, maire-adjoint (PS) chargé de la Culture. Notre politique n’a jamais été celle-ci. Nous avons voulu que le hip-hop soit considéré comme une pratique artistique à part entière et non cantonnée à une question de jeunesse. »
Julien Neïertz, ancien responsable du service jeunesse de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), est moins tranché sur la question. « Je ne dirais pas qu’il s’agit d’acheter mais de contribuer à la paix sociale, affirme-t-il. A Gennevilliers, la situation des gamins de certains quartiers est très dure. On ne peut pas reprocher aux élus de mener une politique éducative à travers ce qui intéresse ces jeunes. »

L’intervention de la municipalité, le rappeur Frédéric Nef « ne peu(t) en dire que du bien ». Second Degré, le groupe qu’il a monté en 1993 à Sainte-Geneviève (Essonne) avec deux amis, a bénéficié du soutien de la commune, notamment pour la réalisation d’un disque. « La mairie nous a prêté un studio d’enregistrement et a financé le pressage. En échange, on a accepté de faire un concert », raconte ce trentenaire, qui habite le quartier des Aunettes, classé en ZRU (Zone de redynamisation urbaine). Le risque d’être utilisé n’est toutefois jamais très loin. « Avec une mairie, c’est toujours donnant-donnant. Pour moi, cela s’est bien passé parce que j’ai accepté tant que l’échange était purement artistique. Si cela avait été dans le but de régler des conflits, j’aurais refusé », explique l’Essonnien, par ailleurs animateur dans une maison de quartier de la ville depuis 1998.

Ce tremplin, ils n’en profitent pas tous. Dans un rapport rendu public le 19 octobre**, la sociologue Isabelle Kauffmann souligne les obstacles rencontrés par des rappeurs amateurs dans le Val-d’Oise. La méconnaissance, nourrie d’amalgames de l’institution par rapport à ce genre musical fait qu’il est encore « sous-représenté dans les dispositifs d’accompagnement ou dans la programmation des salles subventionnées », selon l’universitaire.
Le considérant trop souvent comme violent et contraire aux valeurs républicaines, certaines municipalités lui préfèrent le slam, pour son côté poétique. En témoigne cette anecdote de Julien Neïertz : « A Gennevilliers, je n’ai jamais réussi à obtenir la programmation d’un concert de rap dans la salle des fêtes. On me disait que le public n’était pas prêt. Par contre, Abd Al Malik est passé sans problème. » Et ce, nonobstant les débuts de l’artiste dans le rap et bien que des slameurs, moins connus, se caractérisent par des discours contestataires…
Le hip-hop a-t-il forcément besoin des influences extérieures pour évoluer ? Vincent Gaugain, alias Vin’S d’Apassionada, qui œuvre pour la valorisation des cultures urbaines, pense au contraire qu’il ne « doit pas perdre le sens de ses valeurs intrinsèques ». Selon lui, le problème tient plutôt au mode de gouvernance : « Le hip-hop ne doit pas entrer dans des cases voulues par les institutions. Pour s’affirmer comme un art à part entière, son développement doit être porté par ses adeptes. »

Ludovic Luppino / Ressources Urbaines

* Les fleurs sauvages de la ville et de l'art : Analyse anthropologique de l'émergence et de la sédimentation du mouvement hip-hop lyonnais. V. Milliot, 1997. Extrait d’un entretien publié sur le site internet HYPERLINK "http://www.babelmed.net" www.babelmed.net. Lien : http://www.babelmed.net/Pais/M%C3%A9diterran%C3%A9e/le_hip.php?c=6012&m=...

** Le rap et les musiques hip-hop en Val-d’Oise. Quels parcours possibles pour les rappeurs ? Quels soutiens et quels obstacles ? Cette enquête de terrain est le fruit d’une commande de l’Ariam (Association régionale information actions musicales), de la DDCS 95 (Direction départementale de la cohésion sociale) et du Combo 95, association créée par les acteurs des salles de concerts, studios de répétition et associations musicales du Val-d’Oise pour développer les musiques actuelles dans le département.

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