
Hip-Hop : clashez-vous français ?

Qui a vu le film mythique Wildstyle, tourné en 1982, sait que le clash, ou plus précisément le battle, fait partie intégrante de la culture hip-hop, de ses fondations. Les affrontements à travers le Djing, le graff, la danse et le MCing se sont présentés comme des exutoires salvateurs face à la violence physique des gangs new-yorkais. Dès l’arrivée de cette culture en France dans les années 80 l’esprit battle a fait partie du décor.
DJ Dee Nasty, représentant français de l’Universal Zulu Nation, mouvement fondateur de cette culture, se souvient : « A l’époque ça y allait dans tous les sens, les battles il n’y avait que ça. T’avais Johny Go, Lionel D, Big Brother Hakim (...) Les flows correspondaient à l’époque, ça freestylait déjà. Maintenant c’est vrai que les petits nouveaux sont très techniques, la technique a évolué, ça a peut-être réduit l’écart entre les américains et les français, mais déjà à l’époque il y avait du niveau ».
L’art de l’improvisation, omniprésent aux débuts du rap en France, est passé au second plan avec l’explosion commerciale du rap français, skyrock aidant, dans la deuxième moitié des années 90. La tradition française de la chanson à texte, les artistes de studio poussés au succès par les rotations sur des radios commerciales ont rendu le passage par la case freestyle facultatif pour les rappeurs hexagonaux. Dans les années 2000, l’essoufflement progressif de l’engouement discographique autour du rap et surtout le succès du film 8 Miles avec Eminem ont ramené le clash en impro au goût du jour. Des battles sont organisés et les jeunes loups du mic y voient un moyen de se faire remarquer, sans com’, juste à travers leurs skills derrière un micro. Aladoum, figure importante du MC battle français, originaire de Massy, était l’un d’entre eux : « On n’avait pas de plans mixtapes ni de contacts dans le milieu. Il y avait beaucoup de battles organisés après la sortie de 8 Miles. Ca permettait de se confronter aux autres rappeurs, de montrer ce qu’on vaut. Le fait de commencer à gagner m’a donné de l’exposition ».
Cedric Pinto, à l’époque activiste vidéo et amateur de hip-hop va rencontrer le milieu battle en 2005 : « C’est Sadik Asken, connu pour son clash contre Zoxea des Sages Po, pour qui je faisais des bonus vidéo, qui m’a amené à un battle aux Epinettes à Evry où il faisait partie du Jury. J’étais le seul blanc de la salle, mais ils m’ont accueillit comme un frère. Il y avait tellement une ambiance de malade que j’arrivais à peine à filmer. En sortant je me suis dit « Il faut absolument que j’en fasse un documentaire » ». Son film Versus, réalisé avec les moyens du bord va finir par être diffusé sur MTV et Trace TV et devenir incontournable dans le monde du battle français.
5 ans après, une grande partie des MC’s qu’il a filmé ont délaissé la scène battle : « Le clash n’a pas de débouché, ils n’en vivent pas. C’est pas un Money price à 200 euros qui va changer les choses pour eux. Et puis en général un bon improvisateur ne fait pas forcément un bon rappeur sur disque, et inversement. En plus dès qu’ils gagnent ils deviennent des têtes à abattre. Les petits jeunes qui veulent se faire un nom écrivent des rimes spécialement pour eux. ». Aladoum, après plusieurs victoires, a lui aussi arrêté pour se concentrer sur son projet de disque : « j’avais l’impression d’avoir fait le tour. Comme j’avais commencé par écrire des textes je m’y suis remis. J’ai arrêté les battles fin 2007(...) La réussite dépend avant tout des contacts. Ca ma donné une exposition dans le milieu; mais ça n’a pas été non plus plein de magazines et d’interviews d’un coup. En plus quand j’ai commencé à gagner, les gens qui voulaient se faire un nom se sont mis à reprendre mes rimes. Ils n’avaient aucun scrupule et se permettaient les coups les plus bas (…) Il y a eu une petite période où c’était très créatif. Après, beaucoup de petits jeunes ont pensé qu’il s’agissait juste d’être vulgaire, de s’insulter. Moi j’essayais de ne pas l’être, de ne pas tomber dans ce piège(…) C’est pour ça que j’apprécie le End of the Weak. Là c’est plus compliqué avec des épreuves comme le freestyle bag – les MC’s doivent improviser à partir d’objets piochés à l’aveuglette dans un sac NDLR- , les gens sont obligés d’être bons, ils ne peuvent pas se cacher derrière des insultes ».
Le End of the Weak – la fin des faibles- et le concept de l’anti-battle sont nés aux Etats-Unis en 2000 et ont été introduits en France en 2004-2005. « Aux States, les battles se finissaient souvent mal, explique DJ Keri organisateur du End of the Weak (EOW) français. D’où l’idée de mettre en place un challenge de MC’s autour de 5 épreuves : Freestyle Acapella, Impro (freestyle Bag), Mc's versus Dj's, Cypha Skills (freestyle en équipe sur 4 mesures). C’est de l’anti-battle parce que tu t’affrontes toi-même par l’improvisation(…) après un fort buzz au début des années 2000 notamment grâce à 8 Miles, les gens se sont lassés de voir des mecs s’insulter. Le EOW a permis de relancer la scène avec des mecs doués. Nous avons reproduit l’initiative en Belgique et en Suisse. Les gens nous ont dit merci de nous présenter autre chose que des mecs qui s’insultent. Le freestyle ce n’est pas que du beef. C’est avant tout une question d’originalité et de créativité ».
Malgré ce nouveau souffle de la scène française, être champion de freestyle ne garantit toujours pas un ticket vers le succès commercial. En témoigne l’expérience de Harlem, très respecté pour ses freestyles dans le metro, qui a disparu au lieu d’exploser après son passage par la télé-réalité. C’est pourtant sur des scènes comme celle du EOW que l’on a le plus de chances de rencontrer cet esprit originel du hip-hop, qui tend vers un dépassement de soi-même par la créativité.
Yannis Tsikalakis
http://www.eowfrance.com/
http://www.myspace.com/aladoum
www.versus-lefilm.com
Tepok spécial versus sur TraceTV :
TEPOK spécial VERSUS - TRACE TV
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