Chronique scolaire : Vieille fille

Le 22-06-2010
Par xadmin

Une jarretière fluo apparaît sous un jogging relevé « façon si si, la famille », gloss laqué, sourcils en arc de cercle, cheveux savamment sauvages. Qui voit passer Lesly peut connaître tout à la fois : l’actualité de Zara, d’H&M et du dernier clip de Rihanna. Les 6ème sont fans « Lesly, elle est trooop stylée !» et les garçons ne regardent pas son style mais la promesse qui va avec.

Lesly soigne ses ongles, ses « ch’veux » et son « styleuu » avec autant de soin qu’un urgentiste sauvant un grand brûlé. Accessoires, timing, entourage, rien n’est laissé au hasard. L’enjeu est vital : faire vivre pour l’un, plaire pour l’autre.

Depuis qu’elle a reçu sa jarretière, elle ne la quitte plus. Un modèle de catalogue en trois coloris différent pour trois gouvernances alternées. Sa jarretière ne lui permet ni d’arriver à l’heure ni de combler son retard mais ce ni…ni reste « in » et c’est le plus important, surtout entre 8 et 17 h.

Jarretière sexy comme on en trouve des dizaines dans les vitrines feutrées du 18ème mais dans la cour du collège, l’accessoire se trouve un peu seul, défilant entre midi et deux heures sur les jambes pré-pubères de la jeune Lesly.

Quelques professeurs avaient déjà tenté de faire remonter ou descendre ces tenues tour à tour plongeantes ou montantes sur ces 14 ans de jambes… mais le plongeon se creusait toujours entre ses seins naissants et l’ascension des jupes progressait plus vite que la moyenne d’un élève du premier rang. Mots, avertissements à l’oral, avertissements écrits, tout revenait en boomerang, renvoyé par la maman qui « était derrière sa fille», en embuscade.

Aujourd’hui, journée à jarretière rouge. La principale aperçoit « ce bout de 18ème » accroché aux jambes de la jeune fille. De la même manière qu’elle retire les casquettes à l’intérieur de l’établissement et remonte les jeans des garçons quand ils lèchent le sol, elle ne peut tolérer ces sexygirls de 12ans dans la cour du collège.

La principale s’approche de Lesly dans la cour. Rouge dentelle sur terre grise. Mme Héribe se contente d’un rappel du règlement intérieur « une tenue correcte est exigée ». Elle lui explique que si elle ne permet pas les pantalons aux genoux, elle accepte encore moins des porte-jarretelles, jarretière, bas et autres fantaisies plus nuptiales que scolaires.

La petite acquiesce, ses yeux semblent même comprendre, elle rejoint ses camarades, jarretière au garde à vous.

La principale ne pense pas revoir ce type de tenue ailleurs qu’en troisième partie d’un mariage de Province ou sur les pages kitsch d’un catalogue « Adam et Eve » sous pli discret.

Mais, le lendemain, Lesly revient avec son costume de femme fatale mal ajusté. Face à face. Tailleur contre jarretière. La principale s’apprête à réitérer fermement la demande de la veille mais elle est interrompu par un doux : « Ma mère m’a dit que j’avais le droit de m’habiller comme je veux… ».

La principale sourit. « Je vais régler ça avec ta maman alors. Allez, file en cours ».

Lesly ne court pas, elle marche d’un pas lent et chaloupé, autant dire que « filer en cours » signifiait pour elle, arriver dix minutes après les autres et éventuellement aller chercher un « Billet de retard » pour gagner encore quelques minutes dans le couloir.

L’après-midi même. Maman, au téléphone. Enervée. Taureau dans l’arène scolaire.

-Pourquoi avez-vous agressé ma fille ?

Mme Héribe sourit. L’habitude.

Elle se contente de rectifier :

- Je n’ai pas « agressé » votre fille, madame

- Si, si ! Vous lui avez dit qu’elle n’avait pas à s’habiller comme ça !

-Oui, je lui ai dit. Oui, madame, votre fille n’a pas à venir en jarretière au collège

- Ma fille, je l’habille comme je veux !

- Madame votre fille va au collège, elle doit en respecter les règles.

- Ma fille s’habille comme elle veut. C’est pas parce que c’est le collège que j’vais l’envoyer mal habillée. Elle est stylée ma fille, j’vais pas l’habiller comme tout le monde !

- Madame, le collège n’est pas le lieu pour ça. Ce n’est pas un défilé de mode.

- Forcement, vous, c’est pas de ma faute si vous n’y connaissez rien à la mode ! De toute façon, vous êtes une vieille fille aigrie, ça se voit.

- Comme vous voulez … mais votre fille n’a pas à s’habiller de cette manière au collège.

La mère raccroche. Sûre du pique bien planté.

La principale raccroche. Sûre du pique arraché.
Les deux sourient.

En rentrant, elle entend presque surprise les voix de ses deux enfants en train de jouer en haut. Elle s’arrête dans l’entrée pour savourer son mari. Douceur de sa peau brune, même à distance. Elle lui raconte sa journée et les mots prononcés. Il sourit et l’embrasse, baisers enfouis sous un riant : « Ma vieille fille chérie ! ». Elle sourit. Ses chaussures Louboutin, chinées sur Internet, dorment tranquillement dans son armoire.

Elle pense à Lesly en allant se coucher et à cette maman qui joue aux Sim’s.

La petite revient le lendemain, sans jarretière. La semaine suivante elle ne viendra pas en maths…. Un rendez-vous chez la manucure « impossible à déplacer », avec, pour la CPE, le petit mot de la maman pour justifier par un « Raisons Personnelles » toutes les absences « esthétiques ».

La manucure est l’avenir de l’homme…. ?
 

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