
Banlieues : l’an 5

Dans le village planétaire aux médias mondialisés, tous se souviennent des révoltes urbaines de l’automne 2005. L’implosion spectaculaire des quartiers populaires sur l’ensemble de la métropole, a inévitablement réactualisé les luttes passées en faveur des banlieues, et inauguré de nouveaux fronts portés par de nouveaux acteurs. Aussi la question coloniale, les discriminations ethno-raciales, la pwofytasion, le thème en vogue de la diversité ou encore la dimension médiatique de la relégation urbaine, sont venues enrichir les revendications que de nombreux mouvements ont porté depuis la fin des années 70.
Si le renouvellement des dynamiques militantes issues des banlieues, bien que désespérément invisible chez les médias et les décideurs, réaffirme la capacité de leurs habitants à l’endroit de l’action politique, elle comporte cependant une dimension dramatique. Sous cette bannière « mouvements des quartiers populaires », c’est au moins trois générations d’hommes et de femmes qui luttent pour qu’enfin les banlieues ne soient plus un bantoustan où sont tolérés la misère sociale, les mesures d’exception, l’abandon des plus faibles, les discriminations massives, les entorses au droit, les violences de l’Etat ou le démantèlement du système éducatif. Travailleurs immigrés en lutte dans les années 70 aujourd’hui retraités, marcheurs désabusés des années 80 aux cheveux grisonnant ou jeunes émeutiers de l’automne 2005, tous ont œuvré à un changement en faveur des banlieues… et tous s’interrogent sur le devenir de ces engagements. Combien de temps et de générations faudra-t-il encore pour que ces luttes soient enfin reconnues sinon portées par les pouvoirs publics ?
Si au soir du 6 mai 2007, l’actuel Président de la République assurait être mobilisé pour tous les Français, force est de constater qu’il n’a jamais su s’adresser, ni s’intéresser, à cette France des périphéries. Il semble être resté ce ministre de l’intérieur davantage acquis à la politique du kärcher, qu’au « plan Marshall pour les banlieues » évoqué et vite abandonné par Fadéla Amara à son arrivée au gouvernement. Villiers le Bel, la Guadeloupe, Romans où récemment les heurts en Seine-Saint-Denis, témoignent à la fois d’une défiance à l’égard de l’Etat, mais surtout d’un abandon que les élus locaux dénoncent désormais sans fard aucun. En votant des budgets négatifs, en pointant dans la presse la situation désespérée de ces territoires et de leurs habitants, élus de l’opposition mais aussi de la majorité, adressent un sérieux blâme à la politique actuellement conduite ; de plus en plus résumée à une gestion strictement policière de la situation. Les dernières déclarations du premier ministre lors du Conseil National des Villes, n’ont guère apporté de sursaut, fût-il symbolique, au décrochage de ces territoires.
Du coté de l’opposition, la recomposition de la gauche en vue de la présidentielle en 2012, semble ignorer les quartiers populaires et oublier qu’ils furent bien avant les mesures lancées par le gouvernement depuis 2007, le laboratoire permanent de toutes les poussées libérales. Du salariat ultra précarisé à la gestion policière de la question sociale, la banlieue est une expérimentation à grande échelle du pire qui semble préfigurer la France de demain. La gauche s’indigne davantage contre les mesures imposées à cette autre banlieue de l’Europe qu’est la Grèce alors que dans la même zone euro, de l’autre coté du périph’, elle est aveugle à des pans entiers de la population qui tirent le diable par la queue pour boucler ses fins de mois. Et pourtant les fusées de détresse ont à maintes reprises été tirées. A l’image du cahier des doléances compilées par AC-LeFeu et qui malgré une livraison à l’Assemblée nationale aux élus du peuple, reste inutilisé. Il y a aussi dans cette attitude un abandon qui ne dit pas son nom.
Élus locaux de moins en moins soutenus sinon désavoués. Acteurs et militants des quartiers populaires dubitatifs et usés par tant de marches et tant de combats, pour si peu de considération. Partis de l’opposition incapables de considérer la question des banlieues comme un axe majeur sinon central de leurs programmes. Et habitants partagés entre la résignation / débrouille du quotidien et la colère qui tôt ou tard sera exprimée par les plus jeunes. Tous les ingrédients d’une saison blanche et sèche où au gré d’une mort violente ou d’un contrôle de police inopiné, la France de nouveau s’embrassera. Jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien…
Farid MEBARKI
Président de Presse & Cité